Elle m’avait tellement aidée en période difficile, que je ne pouvais que lui en être reconnaissante. Elle était tout pour moi. Et pourtant la vie aussi ne l’avait pas épargnée. Sa stérilité puis son divorce avaient été des coups durs, très durs mêmes, qui l’ont d’abord fragilisée, mais très vite elle réussit à se dépasser et mener coûte que coûte une brillante carrière. Le jour où elle avait signé les papiers du divorce, après des mois de guerre financière, elle était repartie à son travail, la minute suivante, sans même pleurnicher sur son sort.
Nous étions heureux. Lui et moi, c’était une évidence. À la naissance de Victoire, j’avais arrêté de travailler. Un choix que nous avions décidé à deux, afin d’être plus présente auprès d’elle. Et puis, Vic avait grandi et les absences répétées d’Alex n’avaient fait qu’empirer la situation de solitude dans laquelle je me trouvais. Avec le temps, je m’étais renfermée sur moi-même avec un désir de maternité qui me rongeait de l’intérieur. Ma vie se résumait à accompagner Victoire à l’école le matin et allait à chercher le soir. Durant le reste de la journée, je ruminais. J’étais seule dans ma bulle avec ce sentiment d’ennui permanent qui ne me quittait plus, ce ventre désespérément vide. J’en étais même arrivée à jalouser nos amis autour de nous. J’étouffais à petit feu.
Décompresser, c’était de cela que j’avais besoin en ce moment. Évidemment pour moi, l’idée de flâner dans le Quartier latin là où j’avais mes petites habitudes était un bon vieux souvenir à présent. Entre la crise d’adolescence de Victoire à gérer et les obligations professionnelles d’Alex qui venaient chambouler notre routine, mon quotidien ne m’avait guère laissé le temps de penser à moi. Mon agenda était d’ailleurs gribouillé de part et d’autre, rempli de rendez-vous à ne pas manquer, surlignés d’un marqueur fluo s’ils comportaient le fameux « très important ». Sans compter mon portable qui n’arrêtait pas de m’envoyer des alertes pour me rappeler mes priorités.
La vérité est un fruit qui ne doit être cueilli que s'il est tout à fait mûr. Voltaire
Alex me reprochait d’être trop sensible et aussi trop négative face aux évènements de la vie. Il est vrai que son stress à lui était bien loin de mon quotidien. Après de longues années de travail acharné, tous ces concours interminables et voyages à l’autre bout de la planète, il était enfin devenu commandant de bord de la plus grande compagnie aérienne nationale, Air Flight One. C’était son rêve depuis toujours et je ne pouvais qu’être fière de lui. Il pilotait, aujourd’hui, les plus gros avions du monde.
Sachez qu’une dépression ne disparaît pas du jour au lendemain, même avec un traitement médical, vous êtes au courant ? On croit être guéri, mais un jour, sans prévenir, elle refait surface, un peu comme votre ombre. Elle fera toujours partie de vous, elle est gravée à tout jamais dans vos os. C’est une sacrée maladie la dépression.
Dans cette prison dorée, il n’y a pas grand chose à faire, à part cuisiner ou jardiner. Cette vie, elle ne l’a pas choisie...
Si j’ai un conseil à vous donner, ne vous laissez pas abattre par les crises existentielles de votre fille. Tous les adolescents passent par cette phase, croyez-moi, il ne faut pas le prendre personnellement, c’est juste une période de mutation.
Elle sourit d’un air mélancolique, mais très vite son visage se crispe. Quelque chose dans cette maison la dérange ; elle ne sait pas dire quoi exactement.