Tu as vingt-cinq ans. Tu as lu des pages et des pages sur les enfants victimes d'abus sexuels, leur fragilité, leur culpabilité, leur honte, leurs dérives et leurs solutions -refuges.Sur les raisons qui les poussent à garder coûte que coûte un secret qui les détruit. Sur l'aveuglement et le déni de leur entourage. Tu sais l'importance du dire.Tu sais
Mais finalement ça ne change rien.
Alors, face à l'insuffisance de la parole, tu te tais.
Puisqu’ils ne savent pas, puisque l’angoisse te suit partout où tu vas, c’est à toi, jour après jour, souffle après souffle, d’inventer ta survie.
Comment vivre avec en soi un ennemi qui a pris possession de son corps ? Combien de temps encore pourras-tu supporter qu'il fasse craquer les coutures de ta peau ? Tu as vingt ans. Tu penses que tu ne survivra pas longtemps à cette épreuve, à l'exposition répétée de ta souffrance qui suinte et se déverse, kilo après kilo. Tu te trompes.
Tu sais que la clé du sommeil est dans ta tête mais tu n'arrives plus à l'attraper. Elle est emportée par la déferlante des pensées qui t'assaillent, fragmentaires, frénétiques et dépourvues de sens.
Tu t'ennuies à mourir et pourtant c'est comme si tu n'arrivais jamais à être seule avec toi-même. Comme si tu étais à la fois là et pas là. Comme si ce sentiment faisait partie des murs.
-Tu te serais faites violer, moi, j’en ai rien a foutre. Mais ton père il aurait fait la gueule. Et ça m’aurait gâcher mes vacances.
Les mots te transpercent. Mais aucun ne peut te faire aussi mal que ceux que tu t'assènes à chaque instant.
La nuit, tu veilles. Le jour, tu pleures d'épuisement. Et personne, n'y comprend rien.