Une voiture s’arrête près du portail et Geoffrey reprend le bras d’Angie pour l’y conduire. Elle le regarde comme s’il était Dieu en personne et ça me fait sourire. En revanche, je me dérobe quand il tente de m’attraper le coude et je le vois lever les yeux au ciel, contrarié. Je n’ai pas besoin qu’on m’aide et je ne veux surtout pas qu’il me touche à nouveau : cette petite décharge ressentie un peu plus tôt à son contact me fait dire que cet homme est dangereux. Pour moi et mes résolutions.
– Donne ton adresse au chauffeur, marmonne-t-il après avoir aidé mon amie à monter à l’arrière.
Je n’ai pas le temps de m’exécuter qu’un homme en costard noir déboule près de moi et me tend deux vestes ainsi que deux pochettes brillantes. Je bégaye des remerciements avant de balancer les affaires à côté d’Angie, qui s’est effondrée sur la banquette en riant.
– J’espère ne plus vous revoir ici.
– Aucun risque, m’agacé-je en le foudroyant du regard.
– T’as un sacré culot.
– Et vous, un sérieux problème !
Je me mords la lèvre, regrettant un peu mes paroles. Surtout quand je vois l’effet qu’elle déclenche chez mon interlocuteur. Son visage se ferme brusquement et je retiens ma respiration.
Merde, j’ai l’impression d’avoir visé juste.
Sans vraiment y réfléchir, et alors que j’ai refusé son contact tout à l’heure, je pose mes doigts sur son avant-bras pour l’apaiser. Allez savoir pourquoi sa réaction me perturbe et pourquoi j’essaye de rattraper ma gaffe… Peut-être parce que je ne comprends pas qu’il paraisse tourmenté au vu de sa condition sociale. Des amis, la richesse, une gigantesque villa… qu’est-ce qui le pousse donc dans ces paradis artificiels ?
En tout cas, cela fonctionne. Geoffrey soupire et je sens ses muscles se détendre sous ma main.
– Merci pour votre aide, ne puis-je m’empêcher de dire en laissant mon bras retomber le long de mon corps.
– Allez-vous en.
Ce n’est qu’un murmure mais je ne perçois aucun mépris dans son ton. Il a juste l’air déboussolé. Je hoche simplement la tête avant de m’engouffrer au côté de mon amie qui glousse toute seule depuis cinq minutes. La portière se referme lentement et je balbutie l’adresse de notre collocation au chauffeur qui démarre immédiatement.
Angie finit par s’endormir contre mon épaule et ses cheveux châtains viennent me caresser la peau. Ça faisait longtemps que je n’avais pas eu cette sensation de douceur. Je fixe les mèches qui roulent délicatement sur moi et sens les larmes monter. Je ne regrette pas d’avoir coupé mes cheveux aussi court, je l’ai fait sciemment mais une petite pointe de jalousie vient me titiller la poitrine. Je passe une main tremblante sur ma tête et ferme les yeux en sentant le peu de longueur de ma coupe. Un râle m’échappe et j’enfonce mon poing dans ma bouche pour ne pas crier. Je ne peux le nier, ils me manquent, mais… je ne les supportais plus.
J’essaye de me concentrer sur autre chose pour oublier et des images de Geoffrey me viennent d’un coup. Un sourire ironique étire mes lèvres. Je lui ai dit qu’il avait un sérieux problème, ce qui, je n’en doute pas, est la vérité, mais cette remarque était presque hypocrite quand je repense à ma propre histoire.
Je les observe tous, les grands aidant les petits, les aînés très sérieux, les mains croisées dans le dos, les petites serviettes pour récupérer les miettes, les enfants si disciplinés, les adolescentes jouant déjà à la maman, images d’Épinal et familles parfaites. Je n’ose pas faire un geste de peur de trahir mes mauvaises manières et toutes mes imperfections.
Les filles ne vont jamais croire qu’il ne se passe rien s’il me colle comme ça ! Il relève son casque tout en m’adressant son sourire de tombeur qui me réchauffe un peu les joues. Je ne peux pas ignorer qu’il a du charme. Je ne suis pas fan des blonds, seulement son regard vert est quand même très séduisant.
Ce n’est pas évident de savoir ce qu’elle pense, elle ne laisse pas grandchose transparaître. Elle a appris ça avec tous ces foutus concours de beauté auxquels elle participe depuis qu’elle a six ans. Je me souviens que j’ai dû m’en farcir un paquet, ma mère m’obligeant à venir la soutenir. On devait représenter une famille unie, soudée autour de Salomé. Au fil des ans, je l’ai vue sourire de plus en plus faussement, mais avec de plus en plus de conviction. Elle était bluffante. Encore aujourd’hui, je le repère parfois, ce sourire imposteur, celui qu’elle se colle sur les lèvres. Qui embobine les gens. Celui qu’elle maîtrise parfaitement et qu’on retrouve sur ses photos professionnelles.
Je ne suis pas une enfant que l’on doit surveiller. Je vais me débrouiller ! Il se contente de me fixer. Ça dure tellement longtemps que mes joues me brûlent. Voilà maintenant que je deviens rouge pivoine, génial. Dan effectue un pas vers moi. Mon souffle se précipite, mon corps tout entier se fige alors que j’aurais aimé reculer, mettre de la distance entre nous. Ses yeux noisette me scrutent, descendent vers mes mains, puis remontent. Je suis quasiment sûre qu’ils s’arrêtent plus que de raison sur ma bouche. Ou c’est moi qui rêve ?
Il a quand même fallu que je boive un peu pour oublier, juste histoire de me donner le courage nécessaire de sauter le pas… La même chose m’arrive à chaque fois, ça me poursuit malgré les années. Je crois pendant un moment être passée au-dessus de tout, mais non. L’hésitation n’est jamais loin, heureusement l’alcool reste un bon déstressant. Surtout que je ne regrette jamais après. Je fais confiance à Salomé pour m’orienter vers les mâles doués de leur corps. Romantique, hein ? Ouais… je fonctionne comme ça, désormais.
Cynthia attire les mecs, alors qu’elle est cent pour cent lesbienne. Seulement, elle a un corps de rêve. Non, je ne suis pas jalouse, juste réaliste. Je ne me plains pas, je me trouve plutôt jolie, mais beaucoup plus simple, sans son charme ravageur. Elle, blonde aux yeux bleus, est pulpeuse avec des formes partout où il faut. Elle assume cette silhouette avec des tenues sensuelles et provocantes. À côté d’elle, je me sens trop petite et trop fine. Par contraste, je suis brune, les cheveux longs, légèrement ondulés.
J’aurais dû me douter qu’elles ne seraient pas de bon conseil, de toute façon. Elles ont eu leur premier rapport parce qu’il le fallait, pour faire grande. Je ne dis pas que je sacralise ce moment, mais ça ne devrait pas être pris autant à la légère. Au moins, ce qui me rassure dans mon cas, c’est que je ne serai ni bourrée ni en manque d’excitation. Mais le stress est tout de même bien là quand je me retrouve chez Dan, dans sa chambre, tous les deux assis sur son lit à nous regarder dans le blanc des yeux.
La mystérieuse source a mentionné des rumeurs de promotion canapé et les a appuyées d’images de la jeune femme en train de câliner un homme d’une soixantaine d’années. Et pas n’importe quel homme : Jacques Sporal, le président du conseil d’administration. C’est lui qui a permis à Caroline de devenir P.-D.G. à la place de Florent Festoin et je me demande si son renvoi était vraiment justifié. Je déteste ces femmes qui usent de leurs charmes pour arriver au sommet.
Je perds les pédales face aux sensations qui me transpercent et mes mains se font baladeuses, elles aussi. Je veux sentir sa peau, sa chaleur, et commence à remonter son tee-shirt. Il s’écarte, satisfait de mon initiative, et m’aide à le faire passer par-dessus sa tête. Mes doigts ne résistent pas à la tentation et effleurent en une douce caresse les muscles de ses épaules, puis ses pectoraux et enfin ses abdominaux. Rien n’est trop marqué ou trop dessiné.