Il y avait beaucoup d’amour partout, mais jamais dirigé vers moi. Il n’y avait personne pour me rejoindre sur la ligne d’arrivée. J’ai traversé la foule joyeuse, je suis sorti du stade et je suis monté dans un bus, tout seul. J’étais encore essoufflé et j’ai regardé par la vitre en regrettant de ne pas pouvoir partager ce moment avec quelqu’un. Ma femme s’en fichait, alors je ne lui avais pas demandé d’être présente. C’était un sentiment de solitude absolue d’être là, dans ce bus, en route vers mon appartement vide comme si rien ne s’était passé.
Ça fait des années que je n’ai pas vu Lydia et je ne lui ai pas reparlé depuis le divorce. J’ai changé d’adresse e-mail parce que ses amis et sa famille me bombardaient de messages hostiles, ce qui fait que nous n’avons plus aucun moyen de nous joindre. Elle a beau être définitivement sortie de ma vie, elle se rappelle à ma mémoire de temps à autre, toujours par des pensées indésirables. Je n’ai pas quitté ma femme, disons que j’ai fui un mariage raté.
Je ne crois pas que ma femme me haïssait viscéralement, mais ce dont je suis certain, c’est qu’il n’y avait pas d’amour. Il n’y a jamais eu d’amour dans ma vie, nulle part. J’ai lu un jour qu’on peut dépérir et mourir si on est privé de contacts humains. J’ignore si c’est vrai, mais j’avais bien l’impression de mourir à petit feu. C’étaient des années noires, sans amour ni amitié, et elles ont duré trop longtemps.
Cette fille est clairement une excentrique, même si elle n’a rien d’une extra-lucide. Elle détourne les yeux pour arroser une plante. Je dois avouer que j’aime bien être ici, et aussi farfelue que soit cette Tenn, elle m’amuse. Je reste assis à la regarder évoluer dans cette pièce flottante magique. Elle est pleine de vie, bourrée d’une énergie optimiste et d’ambitions insouciantes. Tout le contraire de moi.
Être vivant, c’est être consumé par la crainte.
Certains la ressentiront plus que d’autres, mais elle réside en chacun de nous. Plus que l’amour, c’est la crainte qui nous lie. Tout n’est que détresse et tristesse, bébé. L’heure tourne. C’est bien trop facile de se laisser aller à l’obscurité qui te talonne. Il te suffit de t’arrêter et tu disparaîtras – tout droit dans les abysses obscurs.
Certaines personnes perdent complètement leur capacité à rire. Quand j’étais plus jeune, je me suis promis de ne pas devenir l’un de ces vieux schnocks blasés qui ne s’émerveillent plus de rien, mais je crains d’être sur cette voie, maintenant. Je crois que c’est à cause des abandons successifs au fil des ans.
À vrai dire, je suis un peu vexé, mais j’essaie de ne pas le montrer. Tenn fouille dans les tiroirs de mon poste de navigation, inspecte les instruments et les écrans électroniques. Ça me met mal à l’aise. C’est une inconnue, et je ne veux pas qu’elle touche à mes appareils ou farfouille dans mes affaires.
Elle balance ses jambes comme une gamine et ses bras sont posés avec nonchalance sur le garde-corps. Je sens bien qu’elle n’aime pas la solitude. Moi, en revanche, c’est précisément ce que je recherche. En tout cas, il me semble. J’ai besoin d’être seul si je veux finir ce fichu roman.
Cette femme n’a pas son pareil pour prétendre que la vie n’est pas une sinistre perte de temps. Le verre est toujours à moitié plein avec elle, ou du moins c’est ce qu’il paraît. Son sourire est un mélange de positivité, d’amour, de force et, bien sûr, de crainte.
La tequila m’aide à me souvenir. Je ferme les yeux et laisse mon esprit vagabonder. En général, j’aime réfléchir avant de parler, mais sans que je sache pourquoi, cette fois, les mots s’échappent. Les paupières toujours closes, je réponds à sa question.