Sebastyen Dugas

À défaut d’avoir les moyens de s’acheter plusieurs voitures de luxe, il les collectionne. Le souci de précision et de concentration qu’exige le travail sur ces voitures miniatures le place dans sa zone de confort. Il se considère comme un intellectuel. Dans l’armée, il était reconnu comme un excellent stratège. Il préférait l’élaboration de plans au port d’une arme.

Il n’y a pas de justice dans ce monde. J’ai toujours été honnête comme vous me l’avez enseigné. Les valeurs de respect et de don de soi, je les appliquais chaque jour. Je croyais au karma. Que si vous faites de bonnes actions, la vie vous récompensera ! Mais c’est de la bullshit, le karma n’existe pas. Les bons vivent des atrocités et les méchants s’en tirent. Alors à quoi bon ? Des trous de cul peuvent abuser d’une fille sans défense comme moi, et s’en sortir sans conséquences. Ces ordures qui se sont vidées de leur semence puante en se servant de moi comme d’un objet insignifiant, juste bon à assouvir leurs plus bas instincts. Juste utile à être jetée après usage, comme un vieux Kleenex.

Qu’on le veuille ou non, on est toujours plus attristé quand un chasseur pose à côté d’un daim ou d’un lion qu’à côté d’un porc.

On est plus enragé par le meurtre d’un enfant ou d’un couple de personnes âgées que par un homme blanc, mi- quarantaine et obèse

Les images qu’elle a mis des années à escamoter repassaient en boucle dans sa tête depuis l’agression. Elle avait oublié l’odeur infâme de son eau de cologne, son visage, ses yeux exorbités d’excitation. Effacer ce regard qu’elle avait épargné à sa sœur cadette.
Elle attirait son père dans sa chambre lorsqu’il avait trop bu pour ne pas qu’il s’en prenne à la petite. Elle savait quand il était dans cet état, elle en reconnaissait les signaux.
Le sentir en elle lui donnait envie de le tuer. Le goût de son phallus infect et acide lui donnait la nausée. Plus d’une fois, elle avait vomi après qu’il ait éjaculé dans sa bouche. Chaque fois, il la frappait.

Les tireurs d’élite ont cet instinct propre à eux. Un sentiment inexplicable pour un néophyte. Comme si vous étiez dans une zone enveloppante favorisant un tir autrement hasardeux.
Un petit nuage rouge s’était formé autour de la tête de la jeune fille tout juste avant qu’elle ne s’écroule au sol. Il venait de réussir un tir parfait. L’assassin n’avait pas porté attention à la foule qui courrait dans tous les sens. Il avait observé le corps inerte d’Ariane Légaré gisant sur le sol. Son amie s’était tout d’abord penchée vers elle, puis s’était relevée rapidement pour s’enfuir en traversant le boulevard, se frayant un chemin au travers des passants en délire.

La plupart des gens sont prudents. Ils disent que le métier de détective n’est pas facile, qu’ils font de leur mieux, mais sans savoir pourquoi, Abygaelle est beaucoup plus affectée par les commentaires d’une poignée d’idiots que de ceux de la majorité plus posée et logique.
S’ils savaient à quel point ça la tourmente de ne pas encore avoir de piste solide. Comment osent-ils prétendre que la Police Provinciale se fout de trouver le tueur ? Tout le monde est énervé autour d’elle, tout le monde est anxieux de mettre la main au collet de ce malade. Les enquêteurs ne comptent pas leurs heures, ils travaillent avec acharnement sur cette affaire.

Vous ne découragerez pas un assassin de tuer. Il est soit trop malade pour s’en inquiéter, ou trop arrogant pour considérer qu’il se fera prendre. Je croyais que c’était sensé économiquement plutôt que de les héberger à grands frais pendant vingt-cinq ou trente ans, mais avec tous les recours, les reports et les appels, ça finit par coûter aussi cher que l’emprisonnement à vie. Alors il me restait la mort comme châtiment, mais si ce n’était pas une punition ? Personne ne sait ce qui se passe après la mort. Si c’était une délivrance ? Donc, si on n’épargne pas d’argent, et si la peine de mort n’est pas dissuasive, à quoi bon ?

L’assassin observait chaque jeune fille correspondant à sa victime comme un guépard tapi dans l’herbe. Et c’est là qu’il l’avait repérée. Elle marchait vers sa droite en direction du boulevard Roland-Therrien. Sa cible était une jolie blondinette qu’il avait observée pendant plusieurs jours, question de comprendre ses habitudes, le rythme de ses pas, et les personnes qu’elle côtoyait. Quel dommage, se dit-il, une si belle jeune fille. Elle n’y était pour rien après tout. C’était simplement une victime des circonstances.

Tuer lui donne un puissant boost comparable à une drogue. Il joue à Dieu, décidant qui meurt, et qui survit. Ça l’enivre. Putain que ça l’excite. Il n’aurait jamais cru ça possible. C’est dangereux.
Très dangereux.
La population en général est inquiète. Tout le monde craint que l’assassin frappe à nouveau. S’ils savaient qu’il n’y a personne qui est plus terrorisé de ce qu’il peut faire que lui-même. Il ne se reconnait plus. D’où vient cet instinct meurtrier ? C’est pourtant une bonne personne.

Il ne pourrait plus jamais vivre normalement ? Il était condamné ? Ça le suivait partout, peu importe où il se trouvait, il ne pouvait s’en sauver. Même au boulot, il lui arrivait de discerner des ombres qui passaient près de lui. Il comprenait que c’était la création de son subconscient, mais ça semblait si réel. La peur le prenait aux tripes et il n’était plus capable de se concentrer ensuite. S’ensuivait une longue série de nuits blanches à craindre de s’endormir.
Pour ne plus jamais rêver à ça.