[...] L'armée remonte le fleuve Yangzi. Les chevaux hennissent, les chars gémissent, les cavaliers et les fantassins chahutent. Ils forment un boa géant qui progresse lentement en rampant.
Dans son chariot recouvert d'une tenture noire, la Jeune Mère somnole. Elle a perdu la notion du temps et ne voit plus le changement des saisons. La route militaire est un corridor sombre et froid isolé du reste du monde. La vie militaire est rythmée par le vagissement des cors annonçant l'avancée et l'arrêt, par le roulement des tambours ordonnant l'attaque et le retrait. La Jeune Mère ignore la joie. Elle ne connait que la tristesse.Vulnérable et désarmée, elle est obligée de suivre les hommes qui l'ont enlevée.
Ses joues se creusent. Le bruissement rapide des roues et le susurrement angoissé du fleuve ont envahi sa chair. Ses bras et ses jambes gonflent. Ses seins enflent et lui font mal. Son ventre devient un monticule prêt à cracher de l'eau et du sang. En elle, la vie livre un combat acharné contre la mort. [...]