Shaun Bythell

Alors que je rangeais les étagères de la pièce consacrée à la nature, j'ai trouvé l'Odyssée au rayon Pêche. Je n'ai pas encore interrogé Nicky à ce sujet, mais sa réponse sera probablement la suivante: "Ils étaient bien sur un bateau pendant un petit moment. A ton avis, qu'est-ce qu'ils ont mangé ? Eh ben oui. Du poisson. "

William est l’exacte contraire d’une nature enjouée, quelque soit la définition que l’on donne à ce terme. On peut difficilement faire pire en la matière. Il ne sourit jamais et se plaint d’absolument tout.
S’il se trouve dans la boutique […], je mets un point d’honneur à lui souhaiter une bonne journée. Les rares fois qu’il daigne formuler une quelconque réponse, il s’agit à tous les coups d’un -Je ne vois pas ce qu’elle a de bon - ou d’un - Ce serait peut-être une bonne journée si je n’étais pas coincé dans cet horrible endroit - …

Le réticence d'Orwell à s'engager dans le métier de libraire n'a rien d'étonnant.

Je ne me sentais plus capable de rien, si ce n'est de lire. Alors j'ai réuni une pile de livres dans laquelle je me suis plongé, de manière à échapper au monde qui m'entourait aussi bien qu'à mon monde intérieur.

Démanteler une telle collection d'ouvrages, c'est un peu comme porter le coup fatal à tout ce qu'étaient ces gens : charge à moi d'effacer la dernière preuve de leur existence.

Il est bien plus commode de répondre à la question : "D'où venez-vous ?" par un seul mot plutôt que de se lancer dans un long (et ennuyeux) exposé sur votre arbre généalogique. Il serait peut-être plus simple que tout le monde s'accorde à donner la même réponse à cette question : "De la vallée du Grand Rift."

Quand il était étudiant, mon ami Callum prétendait pour plaisanter qu'il pouvait lire l'avenir des gens dans les cartes de tarot. Il n'y connaissait absolument rien et avait tout inventé mais, en un rien de temps, une foule de gens se bousculer à sa porte pour se faire tirer les cartes. Même une fois qu'il eut avoué que c'était de la pure affabulation, on continuait de venir le trouver, un peu comme quand l'écrivain de science-fiction L. Ron Hubbard eut déclaré ouvertement qu'il n'avait créé l'église de scientologie que pour gagner de l'argent et que, malgré cela, ses adeptes continuèrent à croire aux dogmes et aux protocoles étranges qu'il avait imaginés. Pour tenter de convaincre ses admirateurs que tout ce qu'il disait était vraiment le fruit de son imagination, Callum fit des prédictions de plus en plus saugrenues, mais cela ne semblait qu'alimenter davantage leur ferveur. En désespoir de cause, il fut forcé d'annoncer que le pouvoir que lui avaient conféré les esprits s'avérait un fardeau trop lourd pour lui et qu'il ne pouvait plus continuer à tirer les cartes, par égard pour sa propre santé.

Dans deux cents ans, Hilary Mantel, Ian McEwan, Julian Barnes et d'autres géants de notre époque jouiront-ils de l'immortalité littéraire ou seront-ils tombés dans l'oubli ? Nul ne peut savoir avec quelle clémence l'avenir les jugera.

Je n'ai pas la moindre compétence en psychologie infantile, mais les plus heureux que je vois dans ma librairie me semblent être ceux qui ont le droit de choisir les livres qu'ils veulent.

Il est peu probable que le fait de chicaner sur le prix et d'expliquer aux libraires que le même livre se vend moins cher ailleurs ait jamais permis à quiconque d'obtenir une réduction.

L'expert n'affectionne rien tant que d'utiliser des mots à rallonge, là où un langage simple et économe ferait aussi bien l'affaire. Il n'est pas collectionneur de timbres, il s'adonne à la philatélie; s'il aime regarder les oiseaux, il vous dira qu'il a une passion pour l'ornithologie; et son obsession malsaine pour les insectes a tôt fait de devenir de l'entomologie.

Même si c'était vain, je lui ai répondu que j'allais me débrouiller pour que quelqu'un en tenue de protection contre le virus Ebola vienne le récupérer, puisqu'il menaçait à ce point sa santé selon elle.

Sans les amoureux des livres, je serais au chômage.

Il y a quelque chose d'assez touchant chez les adolescents ricaneurs - je les entends en me déplaçant dans le magasin : dès qu’on s'approche d'eux, ils se hâtent de replacer fébrilement quelques livres sur une étagère et s'éparpillent dans toutes les directions. Leurs parents - comme nous tous - se sont rendus coupables du même genre de délit à leur âge et fermeraient sans doute les yeux sur la curiosité de leur progéniture, mais les enfants - surtout les adolescents - vivent dans la terreur d'être surpris en train de fumer, de regarder des images pornographiques ou de manifester des symptômes de croissance. (p. 79)

En un sens, son incertitude est précisément ce qui lui permet d'atteindre son but, puisqu'elle occupe ainsi ses longues heures de désœuvrement à harceler les malheureux libraires en quête du livre inconnu qui lui donnera enfin satisfaction. (p. 72)

Les parents désireux de voir leurs enfants prendre goût très tôt à la lecture n'essaient pas tous de forcer leur développement, mais ceux qui le font condamnent leur progéniture à être ou bien précoce, ou bien malheureuse. [Les parents ambitieux] (p. 50)

Ils semblaient stupéfaits de constater que le personnel de la librairie n'était pas composé de baby-sitters expérimentés et que leur travail ne consistait pas à libérer les parents un samedi après-midi pour qu'ils puissent se livrer tranquillement aux joies du shopping. (p. 50)

Il s'agit la plupart du temps d'un couple avec plusieurs enfants, dont au moins un nourrisson. A la différence de la plupart de leurs activités familiales, qui sont de vaines tentatives pour épuiser leurs enfants autant que leurs enfants les épuisent (principalement à base d'absurdes exercices de plein air), leur visite dans une librairie n'a d'autre but que de trouver un moyen de distraire leur progéniture afin de jouir d'un instant de liberté. (p. 44)

Tous ceux qui ont fait l'erreur de se reproduire me comprendront. Avant d'avoir moi-même des enfants, j'avais une profonde animosité envers toutes ces jeunes familles qui entraient dans ma boutique. Je fais de gros efforts pour que ma librairie soit propre, bien rangée et bien ordonnée, et tous les libraires ont horreur que des enfants viennent fourrer leurs doigts poisseux dans les rayons, surtout quand ils contiennent des livres rares et précieux. Mais à présent, je comprends. Je comprends à la fois que l'on ne peut rien faire pour empêcher les enfants de se comporter comme ils le font, et que leurs parents ont quand même droit à une petite dose de culture dans un monde qui a été envahi par les couches Peppa Pig et le vomi. (p. 43)

Pour mesurer la profondeur du gouffre de tristesse humaine qui est le sien, il suffit de savoir qu'il attache tous les magazines du présentoir avec trois morceaux de Scotch, afin d'empêcher les clients de les feuilleter.