Simon Vandereecken

A l’alcool s’additionnait la musique, unique refuge qui l’avait toujours accompagné. Il fuyait désormais tout moment de silence, chaque instant de solitude devait être rempli par des notes entêtantes et effrénées, chaque trajet devait s’accompagner d’une playlist, plus aucune place n’était laissé à ce vide, ce néant qui le dévorait de l’intérieur. Le vide, l’absence et le silence le terrifiaient, comme un appel aux monstres qui emplissaient ses pensées, rappels constant de l’absence de l’être aimé.

Sa tête n’était plus qu’un ouragan, une tempête noire détruisant tout sur son passage, un ciel chargé de lourds nuages qui ne laissait plus filtrer aucune lueur. Peu à peu il dérivait, s’éloignant de tout ce qui le constituait autrefois, disparaissant, s’effaçant peu à peu pour devenir un être transparent, n’être plus qu’une présence, une douleur que l’on aperçoit du coin de l’oeil, vers qui l’on voudrait tendre la main, mais qui est tellement enfermée dans ses murailles de solitude que tout contact nous semble impossible.

Il avait beau essayer, la fêlure ne partait pas, il traînait sa cicatrice avec lui partout où il allait. Il arrivait de nouveau à rire, à s’amuser, mais de temps en temps son regard s’assombrissait. Désormais il avait une peur bleue d’être seul, il demandait qu’on l’accompagne quand il allait aux toilettes, il avait pris peur du noir aussi, dans lequel se tapissaient il le savait les pires cauchemars. Au fond de lui cette bête noire grouillait, lacérait ses pensées et le mettait à bas.

C’est étrange comme quelqu’un peut, en l’espace de quelques mois, devenir si important dans une vie, dépassant des connaissances vieilles de plusieurs années. Etrange comme une personne peut creuser un chemin jusqu’à votre coeur, et s’y installer en prenant ses aises, signifiant tout à coup tellement pour vous au point que la moindre absence de réponse vous plonge dans des gouffres d’interrogations, et comme sa présence peut soudainement illuminer tout autour de vous et vous faire soudainement revivre….

Une vie c’est bien trop courte pour tout ce que l’on voudrait y accomplir, il l’avait compris il y a quelques années, et avait décidé de faire le deuil de certaines de ces possibilités, continuant à avancer sur son chemin, chaque carrefour offrant une nouvelle chance, mais aussi son lot d’abandons.

Au fond de lui il s’en voulait de sa sexualité, qui semblait aller de pair avec une immaturité émotionnelle, n’arrivant pas à trouver sa voie, cherchant sans cesse une stabilité qui semblait lui filer entre les doigts, rêve éphémère, fantasme inatteignable qui lui torturait l’âme.

Chaque réveil sans lui le ramenait à leurs instants, à ces moments chéris où son regard endormi s’entrouvrait pour le trouver à ses côtés, respirant paisiblement, le visage encore empreint de la sérénité que seuls apportent les rêves ou la proximité d’un être aimé.

La mort c’était savoir qu’il n’y avait pas d’espoir de se revoir, aucun espoir de se croiser, l’absence au contraire était ô combien plus cruelle. L’absence c’était savoir l’autre proche, c’était savoir qu’il continuait sa vie loin de soi, que vos chemins se séparaient désormais et adoptaient une trajectoire différente. C’était savoir que l’autre deviendrait peu à peu un inconnu, une ombre du passé. C’était risquer de se recroiser et de voir ces plaies se rouvrir sans que rien jamais ne puisse les soigner. Oui, décidément l’absence était bien pire que tout.

Il savait qu’il faudrait du temps, beaucoup de temps. Car si apprivoiser un renard relevait déjà du défi, apprivoiser un être humain blessé était un défi bien plus complexe.

Le rêve bleu léger mystérieux, comme un oiseau vole autour des berceaux, il fait son nid, bien près des tout petits, pour approcher leurs coeurs de son aile porte bonheur …

L’alcool était devenu son refuge, une échappatoire, un moyen de gérer sa douleur, une sorte d’exutoire dans lequel il s’oubliait. Quand il était saoul les soucis s’évanouissaient, paraissaient disparaitre légèrement, comme s’effaçant, ne laissant que de légères brumes au sein de son esprit.

Mais il devait se résoudre à laisser partir ce visage tant aimé, à le voir se fondre dans cet océan inconnu du temps qui, disait-on, était capable de tout soigner. Et pourtant chaque jour l’absence le mordait, plus durement que l’eau salée sur une blessure, plus cruellement que la mort.

La journée était belle, les arbres teintés d’ocres laissaient filtrer les rayons chaleureux du soleil. Ils voyaient des parents trainés par leurs enfants ça et là, sourires aux lèvres devant l’innocence des bambins qui trépignaient d’impatience.

Il aimait bien les lavoirs, ces lieux avaient quelque chose de rassurant, d’apaisant pour lui. Il prenait même un certain plaisir à y rester le temps de ses lessives, feuilletant un livre assis sur une chaise, contemplant la valse humaine se déroulant derrière la vitre, ce passage incessant de gens si différents. Dans sa tête résonnait sans cesse Eleanor Rigby, cette chanson des Beatles qu’il affectionnait particulièrement, et qui convenait si parfaitement au temps maussade de sa petite Belgique.

Il avait envie de danser, besoin de bouger, de penser à autre chose, il se repassait son film en boucle dans sa tête, le corps frissonnant, agité par ce souvenir unique. Il n’arrivait pas à se décider entre une rencontre et un rapprochement dû à l’alcool ou l’ébauche de quelque chose de plus. Ses doutes avaient une saveur aigre douce, ce goût sucré de l’inconnu, abîmé par ses craintes d’une nouvelle souffrance.

Même s’il n’aimait pas beaucoup ce gris, il devait reconnaître une certaine poésie dans le chant des gouttes d’eau ricochant en frappant le sol. Au loin lui parvenait le chant d’un violon, le lent apprentissage d’une mélodie difficile de Paganini.

Chaque être humain a sa part d’efforts, chaque personne sa part de souffrance, certains les surmontent, certains abandonnent, d’autres l’enfouissent loin de leur esprit, au fond de leur cœur, au creux des yeux, dans ces endroits indicibles au premier regard, mais toujours présents, même inconsciemment.

Les auteurs romantiques hantaient ses yeux, alors que défilaient les histoires d’amour maudites qu’il ne pouvait s’empêcher de s’infliger, le réconfort devenant peu à peu un nouveau gouffre au fond duquel il se terrait, alors que faiblissaient peu à peu les lumières réconfortantes du monde en dehors des pages.

Sa tête était emplie de souvenirs maternels, pas toujours gais, mais si riches, si colorés. C’est elle qui lui avait appris à aimer, à dompter ces sentiments si puissants, à lui donner quelques graines de sagesse qu’il s’efforçait de planter dans ses relations.

. Les livres étaient devenus ses confidents, ses amis les plus intimes, qui connaissaient ses moindres pensées, l’épaulaient, le guidaient. Il avait trouvé entre les pages des psychologues plus avisés que tous ceux qu’il avait pu rencontré jusque là, des confesseurs taiseux, silencieux, mais aux conseils pleins de sagesse, portés par le souffle des temps passés.