Il suffisait aux deux hommes de fermer les yeux pour remplacer en esprit les placards et les caisses éventrées par les merveilles qu'ils avaient découvertes. Outre les bijoux en or de facture mycénienne représentant toutes sortes d'animaux réels ou mythiques, un mobilier luxueux composé de vaisselle, d'armes, de médailles en or, en argent, en électrum, accompagnait les défunts. Les chevaux étaient entièrement harnachés, ce qui donnait de précieuses informations sur la façon dont les scythes les montaient ou les attelaient. Des vases gravés en or révélaient des scènes intimes de la vie quotidienne de ce peuple d'éleveurs nomades et conquérants.
Georges découvrait qu’un jeu machiavélique se dissimulait derrière le divertissement proposé aux candidats. La longue cohabitation avec son patron lui avait naturellement révélé une ambiguïté à la limite de la perversité. Cette tendance répréhensible chez tout autre avait inspiré jusqu’à présent les intrigues brillantes de l’auteur talentueux. Le malheureux témoin se demandait maintenant s’il connaissait vraiment Edmond Boicejac. D’où lui venaient toutes ces idées de crimes sur lesquelles il bâtissait ses romans ? S’apprêtait-il à franchir un nouveau pas dans une voie maléfique en rassemblant autour de lui des cobayes humains ?
Edmond avait reposé le feutre vert et contemplait son œuvre avec un sourire étrange. Il laissa tomber, comme s’il se parlait à lui-même :
— Étendrez-vous cette précaution à tous vos invités ? Je ne suis sans doute pas plus dangereux qu’eux… d’après ce que j’ai cru comprendre ?
— Je les ai conviés chez moi en sachant d’eux ce que je voulais savoir. Ce n’est pas votre cas, monsieur ! Seule la crainte de vous laisser mourir de froid et de faim dehors m’a incité à vous ouvrir ma maison. J’estime vous avoir offert une soirée tout à fait inespérée pour un homme dans votre situation. Alors suivez-moi maintenant sans plus de commentaires.
Le ton de l’auteur ne supportait aucune réplique. Tony lui emboîta le pas avec résignation jusqu’à l’entrée, puis dans l’escalier.
Ne craignez-vous pas de déconcerter vos lecteurs habituels ?
— Eh bien, grâce à votre émission, ils savent désormais à quoi s’en tenir...
La caméra suivit l’auteur qui quittait la cheminée et se déplaçait en maître des lieux dans son salon, les mains serrées dans le dos.
— Votre remarque m’offre l’opportunité de me confier aux téléspectateurs qui me font l’amitié de s’intéresser à moi. Ouiuo;écrivain. Je le considère à la fois comme un chant du cygne dans ma phase auteur de polars, mais aussi un premier pas vers un univers moins sombre, plus intime, où les sentiments tiendront une place plus importante…
Quoi que vous pensiez de mes intentions et des conditions de ce week-end, restez cool !... Tout ceci n’est qu’un jeu… Ne l’oubliez pas !