A cette occasion [lors de la visite des hôpitaux et centres de repos de ses anciens soldats en août 1945] et maintes autres fois, il [Jean de Lattre de Tassigny] m’exprima sa tristesse de ne pouvoir remettre des décorations, comme il l’aurait souhaité, à des Africains grièvement blessés, qui allaient, dans des délais plus ou moins longs, repartir chez eux.
Un autre sujet d’indignation était pour lui la manière dont étaient regroupés avant leur démobilisation et suivant les possibilités du « shipping », les Algériens, les Marocains, et les Tunisiens de la 1re Armée Française. Ils étaient d’abord désarmés et déshabillés par l’intendance, puis revêtus de vieux uniformes allemands, abandonnés dans des dépôts. Enfin, pour sauvegarder la « vertu » de l’élément féminin régional et pour éviter larcins ou brigandage, le gouvernement avait fait installer des camps entourés de barbelés où les séjours se prolongèrent parfois pendant près d’un an. Tels furent celui de Sélestat en Alsace et le camp Sainte-Marthe près de Marseille qui subsistèrent dans des conditions pitoyables. Nulle démarche ne parvint à les transformer ou à les vider plus rapidement.
— Il n’est pas pensable que des soldats victorieux soient traités de la sorte. Il faudrait qu’ils puissent rentrer chez eux fiers et décorés, afin d’être fêtés, admirés. Ils pourraient être nos meilleurs agents de l’amitié franco-musulmane et on en fait des aigris... Les responsabilités de la France sont lourdes. Pourvu que nous ne le regrettions pas un jour ! (Jean de Lattre, mon mari, t. II : 8 mai 1945 – 11 janvier 1952, p.56)