À force de vivre isolé dans une cellule, on finit par laisser les menus sentiments disparaître sous une épaisse couche d'insensibilité, parce que les entretenir n'aide pas à survivre. Au début, on oublie le langage. Même les mots les plus courants ne viennent plus à l'esprit. On oublie de plus en plus de mots et on en arrive à oublier les noms des proches. Passé ce stade, c'est le tour des objets quotidiens qu'on a sous les yeux, dont on a du mal à se rappeler les noms. (…) Ceux qui sont incarcérés depuis longtemps ne pleurent plus, ne rient plus. Mais ce sont de vraies fontaines pendant la projection des films éducatifs. En général, à la fin de la séance, ils ont les yeux rouges. Une des caractéristiques d'un détenu à l'isolement depuis longtemps est qu'il n'est plus capable d'exprimer ses sentiments, parce qu'il ne peut pas les partager. En lui s'effacent l'usage de la parole, les sentiments, les souvenirs aussi.