Jeanne infliltrait la vie des autres. La jeune femme, louée pour son tact et sa déférence, n’y voyait aucune intrusion, mais le moyen le plus juste et le moins invasif d’encapsuler le réduit psychique d’un individu, d’emprunter son regard et ses mots, de se fondre dans son corps. Elle retirait de ces plongées quelques impressions, parfois même un fragment scintillant de vérité. A la différence des imitateurs et des chasseurs avec lesquels elle partageait le goût de l’affût et de l’observation, Jeanne investiguait les intérieurs avec infinie précaution et délicatesse, sans chercher à capturer une attitude ou reproduire un bon mot. Il en allait de ses portraits pour le journal comme des rencontres de l’existence. Sa reconstitution des faits des dernières semaines lui semblait particulièrement crédible (p 41)