Juliette doit se sentir en confiance dans l'habitacle de la voiture. Ou alors elle a pris conscience que c'est le bon moment, que moi-même, sa mère, je ne ferais plus corps avec son père depuis cette nuit. Toujours est-il que c'est là, sur le parking du fast-food, posée sur son rehausseur, la ceinture encore attachée qu'elle me dit juste :
- Tu sais maman, quand papa me touche la foufoune, je n'aime pas, ça me fait mal !
Peu importe en réalité que ça se soit arrêté ou pas, c'est arrivé. Juliette est victime de son père incestueux. Je suis effondrée. Ma vie vient de voler en éclats. Je comprends que la vie de Juliette est un abîme, qu'elle a été en danger à chaque fois que je l'ai laissée aux mains de celui qui était censé la protéger.
J'ai honte.
J'ai peur.
Je pleure.
Je pleure de chagrin pour ma petite fille, mon trésor, ma princesse qui souffre depuis je ne sais combien de temps.
Raconter ce dont j'avais été victime m'étouffait. Alors je me suis exprimée autrement. J'ai choisis l'art, le dessin, la peinture. Et il m'aura fallu des heures de création en tout genre pour parvenir à mettre des mots sur mes propres maux. Finalement, la douleur trouve toujours un chemin pour s'évacuer. Elle est comme une eau vive, elle coule souterraine avant de trouver la lumière.
Géographiquement. Huit cents kilomètres nous séparent.
Humainement. En quittant la maison ce matin, je l'ai quitté lui, j'en prends conscience.
À cet instant-là, ma vie s'est effondrée.
Ma vie ne m'appartient plus.
Mon intimité a été bafouée.
J'ai déballé tout de ma vie aux policiers, tant et si bien que certains en connaissent tous les recoins, même les plus sordides.
Je n'ai plus rien.
Même plus les murs protecteurs de ma propre maison.
Même plus les remparts solides de mes certitudes.
Je n'ai plus rien, sinon le plus précieux.
Juliette et Gabin.
Les statistiques disent qu'un enfant sur dix serait victime d'inceste. Ça, se sont les cas connus, ce sont ceux qui ont déposé une plainte et qui ont parlé. Mais combien ne parlent pas, combien se taisent et se tairont toujours ?
Pour moi, l'homme que j'ai aimé est mort. Je n'ai pas aimé un homme atteint de perversité sexuelle au point de se livrer à des actes incestueux sur sa fille. Ce n'est pas cet homme-là que je suis tombée amoureuse, ce n'est pas lui que j'ai épousé.
Car on ne se libère pas de cette contrainte que l'on a subie : on apprend à vivre avec, et ça fait une énorme différence.