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Citation de Aquilon62


Lilian Mowrer les vit pour la première fois au début de l'année 1921 sous les fenêtres de son appartement de la via della Scrofa. Des jeunes gens vêtus de chemises noires moulantes et brodées, au niveau du cœur, d'un crâne blanc aux orbites creuses. Leurs cheveux longs, souvent laborieusement permanentés au fer à friser, et leur façon d'arpenter les rues en scandant « Eia, eia, eia ! Alalà ! » en faisant porter l'accent sur la dernière syllabe, comme des athlètes universitaires rentrant d'une soirée de beuverie, lui donnèrent envie de pouffer.
Mais l'effet qu'ils produisaient sur ses voisins n'avait rien de drôle.

« Ils étaient armés de carabines ou de revolvers, écrivit Lilian, et marchaient en roulant des mécaniques ; ce n'était pas la simple arrogance donjuanesque du mâle italien moyen sorti faire un tour, mais une arrogance provocatrice, efficace, qui incitait les gens à s'écarter pour les laisser passer. Ils se donnaient le nom de fascisti --- fascistes . »

Beaucoup étaient d'anciens Arditi, membres des unités d'élite de l'armée italienne pendant la Première Guerre mondiale, unités calquées sur le modèle des Sturmtruppen, les troupes d'assaut allemandes. Mieux payés et mieux nourris que les soldats ordinaires, ils avaient appris à voyager léger, sans paquetage, à prendre les tranchées d'assaut avec pour tout équipement des poignards et des grenades, et à se battre au corps-à-corps contre l'ennemi sans craindre pour leur vie. Ayant pour devise Me ne frego («Je m'en fiche »), ils avaient affiché au combat un culte de la mort désinvolte, assorti d'une esthétique tout à fait particulière. Leurs mèches longues et leurs séduisants uniformes noirs brodés de flammes leur donnaient l'air de pirates modernes. Après la guerre, désœuvrés et à la dérive, ils avaient semé la terreur à travers les villes d'Italie, dans les cafés desquelles ils se retrouvaient pour s'enivrer jusqu'à l'hébétude. Défilant sur le corso de Rome, ils obligeaient les passants à s'effacer et frappaient tous les hommes qui négligeaient de se découvrir avec leur arme de prédilection, le Santo Manganello — la « sainte Matraque » plombée.

(INCIPIT)
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