J’avais retrouvé une vision d’enfant sur les choses. Demain ne voulait rien dire si aujourd’hui il arrivait quelque chose de bien. Ce qui se passait maintenant était tout, et demain était un temps qui semblait si inintéressant qu’il n’avait aucune importance.
Et j’étais de nouveau amoureux de Sophia, pour les meilleures raisons pour lesquelles on peut être amoureux de quelqu’un. Ma mère l’appréciait, je l’appréciais, il n’y avait personne comme elle dans le monde entier, ce qui me rendait exclusif. Elle représentait une possibilité de trouver la sérénité, et elle comprenait mon âme avec une telle profondeur et une telle rapidité qu’elle en savait plus que moi sur moi-même.
Et elle était canon. Et belle et élégante, et elle ressemblait à ce qu’elle était : une jeune fille perdue qui ne voulait pas qu’on la trouve. Princesse et chevalier à la fois.
J’aurais tout simplement pu te déchirer en deux. Ton corps. Et ton âme. Déchirer tout ce que tu as jamais vécu. Et te faire sentir la douleur de l’humanité. Plus la douleur que d’autres éprouvent quand tu n’es plus là. Te montrer l’abîme, la suffocation, la terreur, le trou et la chute. Et ce, de manière que tu aies l’impression d’être le premier homme à mourir », dit la Mort avant d’ajouter, après une pause théâtrale : « Mais ce n’est pas mon style.
Les hommes sont des imbéciles imbus d’eux-mêmes dans la vie et des imbéciles craintifs dans la mort. Mais sur les petits îlots de vérité entre les deux, les hommes sont ce qu’ils sont. Des imbéciles qui se sont rendu compte que ce sont des imbéciles.
Ma tante Gunhild était comme une méduse à crinière de lion en mer du Nord. Évoluant seule, dépendante des courants sur lesquels elle se laissait porter, mais piquante et brûlante dès qu’on la touchait, venimeuse et pourtant aussi belle que redoutée.
J’ai appris que les hommes aiment la vie. Même s’ils n’en ont pas conscience en général, et qu’ils le montrent encore plus rarement. Alors ils s’accrochent malgré tout, d’une façon ou d’une autre, à ce qu’ils connaissent et à ce qu’ils ont.
Le cynisme est comme un serpent à sonnettes qui, chaque jour, se mord lui-même légèrement pour se défoncer un peu avec son propre venin, pour se sentir vivre, et qui sait pourtant qu’il finira par causer sa propre mort.
Et je me dis soudain que toute cette rigueur intransigeante avec laquelle j’appréhendais la vie et ses êtres humains avait été une perte de temps, et que j’apprenais quelque chose sur la vie grâce à la Mort.
Nous nous étions côtoyés un court instant, pleins d’éclat, comme des comètes mal lunées sur leurs orbites elliptiques, juste avant d’être ensuite séparées par nos forces d’attraction respectives.
(...) ma peau se sentait comme le foie d’un alcoolique en sevrage qui a le droit de boire un cognac de mille ans d’âge. Chaque fibre de mon être se souvenait en une fraction de seconde.