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Citation de Charybde2


À ce point du parcours, la situation peut donc être décrite de la manière suivante. Aux diverses acceptions de l’utopie pourtant répandues – l’utopie comme non-lieu, l’utopie comme rêve, ou comme cauchemar, ou comme slogan – quelque chose résiste. C’est un mouvement d’une autre sorte, effectivement là, mais dont il est difficile de se saisir. Il est perceptible dans un grand nombre d’oeuvres mises en circulation depuis 1516, dans les commentaires et les conduites qu’elles inspirent, dans un ensemble de pratiques. Cette persistance utopienne s’observe en général sur des chemins de traverse, plutôt dans les angles qu’en position centrale. Pour qui veut y être sensible, elle lève le voile sur une histoire ouverte, qui ne cesse de se réamorcer.
Il se pourrait bien que l’utopie tienne sa force de sa charge critique. Elle s’élève contre l’autorité du « c’est ainsi », contre le « on sait cela mieux que toi », le « on sait quelle est ta place et on fera en sorte que tu y restes », le « on veut ton bien », le « laisse-nous faire ». Elle débusque dans l’ordre en place ce qu’il faudrait accepter et qui pourtant fait violence. Face à la nécessité des choses, elle porte en elle l’énergie d’un anti-fatalisme. Ce qu’elle murmure ou crie, c’est tantôt « là c’est trop » et tantôt « là c’est trop peu » – ou encore : « quelque chose manque » (Bertolt Brecht et Kurt Weill, Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, 1930). Elle peut ouvrir des pistes face à ce qui abîme les êtres dès les premières étapes de leur vie. […]
La résistance utopienne face à cette réalité-là, une résistance placée sous le signe du devenir, ne peut-elle être dans ces conditions que minoritaire ? Ne risque-t-elle pas sinon de se transformer en autre chose, d’imprimer profondément sa marque, de devenir à son tour normative ? Ne se situe-t-elle pas toujours là où une domination trace les frontières entre l’ordre des faits et l’ordre des illusions ? Est-il seulement envisageable de ne pas dire « je prends la réalité », de contester l’ordre des faits ? Oui, sans doute, et si le mouvement de l’utopie entre en contradiction avec la toute-puissance des faits, alors « tant pis pour les faits », suggère Ernst Bloch.
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