A l’intérieur, la lumière ruisselle, à travers de vastes baies vitrées et des fenêtres en arc, sur des os couleur de cendre. À l’extrémité de la courbe paresseuse de sa colonne vertébrale en forme de sinusoïde, Hope, la baleine bleue, ouvre vers nous ses mâchoires massives. Pendant que je fais la queue pour pas- ser la sécurité, je compte les os de son squelette (deux cent vingt et un), puis les vitres de toutes les fenêtres au-dessus de nos têtes (trois cent soixante-huit) et enfin le nombre de pas qui me séparent de la porte (cinquante-cinq, un chiffre qui augmente dans des proportions inquiétantes). Je ne peux pas m’en empêcher. Dieu merci, je n’ai jamais fumé.
Autour de nous, on aménage la salle. Des instructions aboyées résonnent contre les murs. Des roulettes couinent sur les dalles, des trousseaux de clés tintent aux ceintures, et des techniciens vêtus de noir (ils sont huit) installent des projecteurs et traînent des caissons de matériel qu’ils mettent en place.
– Comment tu vas? murmure Bel.
– À merveille, fabuleux, invincible, magnifique, superla- tivement bien, exce...
Elle m’interrompt d’un soupir.
– Écoute, si les choses devenaient de pire en pire, tu peux toujours t’éclipser.
Elle me montre une petite caméra noire accrochée sous un balcon comme une chauve-souris métallique.
– Si tu ne résistes pas à l’envie de voir des gens mugir et brailler autour de maman, tu pourras toujours regarder la vidéo.
Un homme à l’allure policée, vêtu d’un costume gris, s’approche de nous avec un bloc-notes.
Il y a des mensonges que l'on raconte non pas pour être cru mais parce qu'on ne peut pas supporter ce qu'il se passerait si on disait la vérité.
La panique totale est mère de l'invention.
Bon, dit-elle. Raconte-moi.
– Raconter quoi?
Elle me lance le regard n°4. Si vous avez des parents,
vous devez le connaître, ce regard-là, celui qui signifie : «Pour l’instant, il fait encore beau, tu n’es dans la merde que jusqu’aux chevilles, mais si tu me pousses un peu plus, tu vas avoir besoin d’un masque et d’un tuba. »
– Ces trucs-là sont peut-être dans ta tête, Peter William Blankman, mais moi, je veux les faire sortir au grand jour, dit-elle, glissant le stylo au creux de sa main et prenant un ouvre-boîte sur une étagère. Même si je dois me servir de ça pour y arriver.
Je laisse échapper un grognement et l’ombre de la crise que j’ai eue tout à l’heure s’éloigne un peu plus.
Elle regarda par-dessus mon épaule.
- Essaye Wuffles 2012.
Je fronçai les sourcils, mais je tapai le code. La fenêtre de connexion se transforma en minuteur.
- Putain, c'est plus de l'expertise, c'est de la folie furieuse.
Elle leva alors la main droite. Un Post-it jaune était collé à son index avec le mot de passe griffonné dessus en lettres minuscules.
Elle mangeait toujours des pommes, pas seulement la chair mais aussi le trognon, la queue et même les pépins. Je sais à quoi vous pensez : pépins de pomme = cyanure = mort rapide et douloureuse, mais j'avais vérifié, il en aurait fallu plus de trois mille pour arriver à la dose mortelle médiane.
Cette histoire est un mensonge.