Il paraît qu’à Londres les gens ne connaissent pas leurs voisins. Mais chez moi, vu l’épaisseur des cloisons, j’en savais plus sur eux que leur propre psy.
Je venais de passer quinze ans à aller au bureau et à y poser mes fesses jusqu’à l’heure de rentrer à la maison, en échange de quoi une entreprise sans visage virait tous les mois une somme fixe sur mon compte. C’était la vie. Mais au moment où la lettre de licenciement m’est arrivée entre les mains, ce système ne semblait plus si mauvais tout à coup. Qui étais-je pour vouloir y renoncer ? J’ai réalisé subitement que je n’avais pas la moindre idée de ce que serait mon existence sans une entreprise géante et sans visage pour me maintenir en vie.
J’ai été élevé dans une culture où l’on boit. Dès l’âge de quatorze ans, l’idée était toujours de finir aussi saoul que possible. Devenus assez grands pour commencer à sortir et à se planquer derrière les pubs, on se filait rendez-vous à la gare et on s’achetait des packs de quatre Stella Artois pour les boire dans le train pendant le voyage jusqu’à la prochaine ville. Là, on faisait la tournée de quatre ou cinq pubs, jusqu’à échouer dans celui du centre où c’étaient les retrouvailles avec les amis. C’est seulement alors que la soirée débutait vraiment. Là, on commençait à boire pour de bon. Quand j’étais jeune, c’est ce que faisaient les ados habitant une province de merde.
A la suite d'un mega tour de passe-passe, l'argent avait cessé d'être un moyen en vue d'une fin- l'argent désormais c'était la fin.