Et je veux que ce soient les responsables des viols qui portent la honte – celle qui, trop souvent, est reportée sur les victimes
J’ai essayé d’expliquer qu’en réduisant les femmes au silence pour nous préserver nous-mêmes de l’inconfort et préserver nos familles de la honte, dans un effort mal compris pour protéger la dignité de nos familles, nous condamnions nos soeurs, nos filles, nos mères, nos cousines à rester brisées pour toujours, cachées pour toujours, traumatisées pour toujours
Ce n’est que bien plus tard que je comprendrai la logique des actes de Jammeh : un patient dressage, une relation privée construite peu à peu à coup de flatteries, d’éloges et de cadeaux, ponctuée d’interactions publiques neutres afin de me déstabiliser juste ce qu’il faut
J’avais la sensation que mes choix étaient bornés par des ténèbres et, dans ces ténèbres, les voix des dignitaires religieux, et de ma culture entière, devenaient un véritable vacarme ; sans exception, ces voix me confirmaient que ce qui s’était passé était ma faute
C’était difficile de prononcer ces mots, mais je voulais que les personnes d’Afrique de l’Ouest, et surtout en Gambie et surtout les femmes entendent ma voix, la voix d’une femme, et qu’elles comprennent mes mots dans une langue familière à leurs oreilles
Et je refusais d’admettre que j’étais la survivante d’un viol. Je chassais en permanence cette pensée de mon esprit. C’était comme si je niais tout ce que j’étais. Ce déni ne me laissait rien à quoi me raccrocher
En juin 2015, Yahya Jammeh m’a violée. Il était à l’époque président de Gambie. Il n’a jamais été accusé. Jamais condamné. Pour une raison, le monde estime que je dois parler au conditionnel
Pour la première foi, j’ai envisagé la possibilité que quelqu’un puisse me respecter d’avoir survécu plutôt que m’accuser ou me faire honte du viol que j’avais subi
Tous ces mots imprécis censés offrir une forme de protection n’étaient en réalité q’un manteau de honte destiné à être porté par la victime et non par le violeur
J’aurais voulu retirer mes organes génitaux de mon corps, les dissimuler quelque part où personne ne les verrait jamais, j’aurais voulu les séparer de moi