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Anna Gibson (Traducteur)
EAN : 9782721012098
Editions des Femmes (21/09/2023)
3.5/5   1 notes
Résumé :
Chaque année, en Gambie, un concours national est organisé dans le but de récompenser une jeune femme intelligente et soutenir son projet professionnel. A l'âge de 19 ans, Toufah Jallow l'emporte. Elle reçoit alors de nombreux cadeaux et l'argent qu'elle empoche lui permettra de réaliser son rêve d'études à l'étranger. Mais la victoire lui coûte beaucoup plus que ce qu'elle lui rapporte. Yhaya Jammeh, dictateur de la Gambie, loin de l'image protectrice qu'il véhicul... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Le rire desserre l'étau de la peur, diminue son pouvoir de contrôle

Les mots et le temps pour dire. Dans son prologue « Dois-je parler au conditionnel ? », Toufah Jallow revient sur six ans de sa vie entre un concours national gagné en Gambie et décembre 2000. Survivante d'un viol par le président Yahya Jammeh, séparée de sa famille, le temps long de la reconstruction, « Avec la dépression. Avec mon secret. Avec l'isolement ».

L'autrice interroge le sens des phrases pour parler de viol, ce conditionnel attaché principalement aux violences sexuelles subies par les femmes et les enfants, le bénéfice du doute aux hommes accusés, le fait de survivre et l'exemple d'une survivante visible, « Et je veux que ce soient les responsables des viols qui portent la honte – celle qui, trop souvent, est reportée sur les victimes », le combat pour la justice « pour toutes les victimes de violences sexuelles », les campagnes qui unissent les forces des femmes du monde entier.

« En juin 2015, Yahya Jammeh m'a violée. Il était à l'époque président de Gambie. Il n'a jamais été accusé. Jamais condamné. Pour une raison, le monde estime que je dois parler au conditionnel ». Toufah Jallow ne le fera pas… elle ne sera plus invisible, « je brille comme le lever du soleil sur la côte atlantique de la Gambie »

Toufah Jallow aborde la Gambie à l'ombre d'un dictateur, sa famille et en particulier sa mère : mariage arrangée, pilule « à l'insu de mon père », influence gardée « sur son avenir et celui de ses enfants », refus de faire « couper » sa fille, polygamie, travail salarié dans un bureau, « C'était une source de pouvoir pour elle, et de ressentiment pour les autres femmes, qui maugréaient en disant qu'elle n'assumait pas pleinement sa part des corvées domestiques », frère mort, sortie de l'enceinte familiale, « A défaut d'être une « femme unique », ma mère est devenue une femme indépendante, avec ses enfants autour d'elle ».

L'autrice parle de son enfance, de la place de la lecture, « Tous ces livres parlaient de femmes qui affrontaient le monde à leurs propres conditions », d'un concours, de rencontres avec le président « Ce n'est que bien plus tard que je comprendrai la logique des actes de Jammeh : un patient dressage, une relation privée construite peu à peu à coup de flatteries, d'éloges et de cadeaux, ponctuée d'interactions publiques neutres afin de me déstabiliser juste ce qu'il faut », du danger et de son espoir « encore de pouvoir écarter le danger ».

Avec un juste choix des mots, elle revient sur la terreur, la drogue injectée, l'absence de « mot pour le viol en peul », le souvenir de la chose et de ce qui reste toujours en elle, sur ce qui s'est passé ensuite « c'est repositionner la honte à la place qui lui revient », l'expression d'excuses d'une femme pour le crime d'un homme, la honte d'avoir cessé de se débattre.

Retour à la maison, la salle de bain, l'eau froide, la peau frottée, « Je voulais que l'eau me lave, encore et encore, qu'elle me débarrasse de lui », « J'aurais voulu retirer mes organes génitaux de mon corps, les dissimuler quelque part où personne ne les verrait jamais, j'aurais voulu les séparer de moi », l'impossibilité de parler à quiconque et en particulier sa mère qui ne resterait pas silencieuse et passive « et ce serait dangereux pour nous tous », la possibilité de la répétition de l'agression contre son corps, « J'étais entouré de gens que j'aimais. Pourtant j'étais complètement seule », la vie comme dédoublée en deux mondes, un jour semblable à tout autre jour, une décision et une rupture.

Trois évasions « celle du marché, celle du fleuve et celle du trajet entre les fleuve et la frontière », une petite barrière, « mais la plus longue distance que j'ai jamais parcourue ». Partir pour aussi garantir la sécurité des sien·nes, Dakar, une gare routière, « Je n'étais plus qu'une fille seule, essayant de se rendre invisible dans une ville inconnue », réfugiée. Et dire avec des mots comme un langage codé, « Tous ces mots imprécis censés offrir une forme de protection n'étaient en réalité q'un manteau de honte destiné à être porté par la victime et non par le violeur », seule comme une prisonnière enfermée dans une cellule « punie pour un crime qui n'était pas le mien ».

Toufah Jallow organise sa propre disparition, « J'avais la sensation que mes choix étaient bornés par des ténèbres et, dans ces ténèbres, les voix des dignitaires religieux, et de ma culture entière, devenaient un véritable vacarme ; sans exception, ces voix me confirmaient que ce qui s'était passé était ma faute », pense à un effacement radical de sa personne, réfléchit à sa famille en Gambie et à ce qui peut s'y passer, décrit des entrevues et les mots non dits… Et la porte ouverte du Canada.

Un autre continent, des comportements différents, « Même quand les mots sont les mêmes, ce n'est pas la même chose », l'isolement et le sentiment de solitude, l'apprentissage de nouvelles formules sociales, la coexistence de communautés, des migrant·es, « celle de personnes qui arrivent seules dans un pays, porteuses de lourds secrets. le genre de secret qui les encombrent et les entrave », des rencontres et des échanges, « Je sais seulement que je n'étais pas prête à leur dire la vérité sur la raison de ma présence ». L'autrice souligne qu'elle se cramponnait à son histoire officielle, la nécessité d'aller de l'avant, les limites du contexte de réfugié·es, le déni, « Et je refusais d'admettre que j'étais la survivante d'un viol. Je chassais en permanence cette pensée de mon esprit. C'était comme si je niais tout ce que j'étais. Ce déni ne me laissait rien à quoi me raccrocher », les questions éludées, les regards détournés.

L'autrice décrit la solitude et l'invisibilité, la peur « d'être vue et jugée par les autres étudiants », les flashs de souvenirs très clairs et les vastes nappes de néant, l'estime de soi fortement dégradée, les lieux d'obscurité, les souvenirs de l'enfance, les questions qu'elle posait et se posait, les relations aux membres de la famille, le visible et l'invisible, les fermetures de soi, « Il était plus facile de me perdre dans le passé de mon nouveau pays que d'examiner le mien ».

Anderson et les mots qui se bousculent, la parole et la peur que « tu n'aies plus le même regard sur moi ». Des paragraphes puissants sur l'après des mots, « Pour la première foi, j'ai envisagé la possibilité que quelqu'un puisse me respecter d'avoir survécu plutôt que m'accuser ou me faire honte du viol que j'avais subi », l'emploi du temps frénétique comme stratégie d'évitement, le réveil de la Toufah.

Après la chute du dictateur, Toufah Jallow derrière un micro, « je suis à la fois visible et invisible », le secret mis en mots, « J'ai été violée, dis-je. Je suis une survivante ».

Une ouverture d'un autre monde dans le monde familier. le retour en Gambie. L'autrice aborde de multiples facettes, les stéréotypes intériorisés, les retrouvailles et les difficultés d'aborder « ce sujet », la diminution de la honte, les nombreuses femmes « comme moi ». Je souligne le chapitre « Je veux parler en mon nom », le refus d'être réduite à une statistique, les interrogations, « je devais absolument déplier et examiner ce qui venait de ma famille et de la culture dans laquelle j'avais grandi », le pouvoir des hommes et les résistances féminines qui le subvertisse, l'importance pour d'autres filles que « quelqu'un qui leur ressemblait avait survécu à une chose pareille » et qu'elles sachent qu'elles ne sont pas seules.

Une femme accuse un président de viol, #iamtoufah, « C'était difficile de prononcer ces mots, mais je voulais que les personnes d'Afrique de l'Ouest, et surtout en Gambie et surtout les femmes entendent mavoix, la voix d'une femme, et qu'elles comprennent mes mots dans une langue familière à leurs oreilles », rendre réel un acte et un crime, dépasser ces « limites de notre faculté de parler ouvertement de ces crimes », sortir du déni, être une survivante hantant les criminels, « Il est temps de supporter l'inconfort parce que le confort, lui, s'est révélé un désastre », prendre la parole dans le lieu même où tout à commencé, rendre visibles les femmes derrière les statistiques, tisser les cordes de la solidarité, crier pour aller au delà de la douleur, garder le contrôle de son propre espace, dire le crime sexuel et l'impunité, promouvoir des droits (et des besoins) des victimes de violences sexuelles, refuser de choisir entre une « africanité » et les revendications d'égalité, changer le monde…

Et relire le prologue pour mieux comprendre le temps de la sidération, le temps du silence, celui de la honte et de la peur, le temps de la formulation des mots et enfin celui de la parole publique.

« J'ai essayé d'expliquer qu'en réduisant les femmes au silence pour nous préserver nous-mêmes de l'inconfort et préserver nos familles de la honte, dans un effort mal compris pour protéger la dignité de nos familles, nous condamnions nos soeurs, nos filles, nos mères, nos cousines à rester brisées pour toujours, cachées pour toujours, traumatisées pour toujours ».


Lien : https://entreleslignesentrel..
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Et je veux que ce soient les responsables des viols qui portent la honte – celle qui, trop souvent, est reportée sur les victimes
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J’ai essayé d’expliquer qu’en réduisant les femmes au silence pour nous préserver nous-mêmes de l’inconfort et préserver nos familles de la honte, dans un effort mal compris pour protéger la dignité de nos familles, nous condamnions nos soeurs, nos filles, nos mères, nos cousines à rester brisées pour toujours, cachées pour toujours, traumatisées pour toujours
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Ce n’est que bien plus tard que je comprendrai la logique des actes de Jammeh : un patient dressage, une relation privée construite peu à peu à coup de flatteries, d’éloges et de cadeaux, ponctuée d’interactions publiques neutres afin de me déstabiliser juste ce qu’il faut
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J’avais la sensation que mes choix étaient bornés par des ténèbres et, dans ces ténèbres, les voix des dignitaires religieux, et de ma culture entière, devenaient un véritable vacarme ; sans exception, ces voix me confirmaient que ce qui s’était passé était ma faute
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C’était difficile de prononcer ces mots, mais je voulais que les personnes d’Afrique de l’Ouest, et surtout en Gambie et surtout les femmes entendent ma voix, la voix d’une femme, et qu’elles comprennent mes mots dans une langue familière à leurs oreilles
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