J'espère que tu m'entends me plaindre de l'au-delà ! Que ma colère dissimulée derrière ce visage impassible perce les nuages jusqu'à toi. L'au-delà... Je n'y ai jamais cru, tout de suite, je prie pour qu'il existe. Ce serait injuste que tu n'aies pas à assumer tes responsabilités, à ressentir la douleur, la peur, la rancune et le désespoir que tu nous infliges.
Le vent frais gifles mes joues. Je l'interpelle d'une caresse. Ma main danse en suivant sa brise. Qu'il m'emporte avec lui ! Ailleurs. Loin des gens, de ma peine et de ton souvenir. Mais il fuit seul et m'abandonne ici, à mon triste sort, à une vie sans toi, bercée par le regret.
Tu es une femme formidable et seras une mère de la même envergure. Le bébé s'en fiche d'un appartement en ville ou d'une maison à la campagne. Le meilleur des logements sera tes bras.
Nous savons tous les deux que c'est bien plus que cela, que ce n'est pas la beauté du monde qui le met dans cet état. Le divorce, sa peine, la colère de ses enfants, devoir se reconstruire à un âge où l'on pense que tout est acquis, voilà les vraies causes de son tourment.
Ils sont nombreux à désirer te dire au revoir. Tu dois être soulagé de ne pas avoir à perdre ton énergie en politesses. Ils te saluent, tu n'as pas à répondre, ni à t'assurer que tout le monde va bien, que chacun à ce qu'il lui faut, que rien ne manque.
Aujourd'hui, c'est toi qui nous manque.
Mon estomac n'a jamais autant crié famine, mais je n'ai pas frappé chez la voisine, ni même quitté l'appartement. J'ai vidé les placards. Tu n'y trouverais plus aucune boîte d'olives, paquet de chips, cornichons, ni biscuits au chocolat. Tu as cessé de vivre, je cesse de prendre soin de moi. A quoi bon ?
Tes proches ont eu la délicatesse de me laisser seule avec toi, quelques instants, pour permettre à mes larmes de couler et extérioriser ce chagrin. Mais seuls les reproches et la colère sont là. Les insultes se promènent sur le bout de ma langue.
Le vent frais gifle mes joues. Je l’interpelle d’une caresse. Ma main danse en suivant sa brise. Qu’il m’emporte avec lui ! Ailleurs. Loin des gens, de ma peine et de ton souvenir.
J’ai peur, Rosie…
— De quoi ?
— D’oublier, de l’oublier. D’être heureuse à en effacer la douleur et de ne plus entendre sa voix dans ma tête.
Dehors la pluie tombe. J'espère que le vent se lèvera. À quoi bon la pluie si l'on ne l'entend pas, alors que c'est dans le tambourinement de ses gouttes contre le verre que se cache sa beauté?
Surtout si nous l'écoutons et l'épions bien à l'abri, au chaud, derrière la vitre.
Le suis-je ? Heureuse ? Déjà ? Malgré tout ? Ce serait donc vrai ? Un simple petit être - même pas terminé - qui compresse mes organes, raccourcit mes nuits, dérègle mon alimentation et remet mon futur en cause, est en train de me rendre heureuse ?