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Citation de Piling


Quand il décrit le grenier des Morel, la famille du tailleur de pierres précieuses, honnête et malheureux, son aînée séduite, engrossée et soupçonnée d'infanticide par le perfide notaire Jacques Ferrand, sa fillette de quatre ans morte de privations sur la paille, ses autres enfants rongés par le froid et la faim, sa femme agonisante, sa belle-mère folle à la bouche baveuse qui perd les diamants dont il avait la charge, les huissiers à sa porte venus le traîner en prison, c'est alors que Sue mesure toute la puissance de sa plume. Parmi les centaines de lettres qu'il reçoit, entre les nobles dames qui, enivrées, lui ouvrent leur alcôve, les prolétaires qui saluent en lui l'apôtre des pauvres, les lettrés de renom qui s'honorent de son amitié, les éditeurs qui se le disputent à coups de contrats en blanc, le journal fourriériste La Phalange qui le glorifie comme celui qui a su dénoncer la réalité de la misère et de l'oppression, les ouvriers, les paysans, les grisettes de Paris qui se reconnaissent en ces pages, la publication d'un Dictionnaire de l'argot moderne, ouvrage indispensable pour l'intelligence des "Mystères de Paris" de M. Eugène Sue, complété d'un aperçu physiologique sur les prisons de Paris, histoire d'une jeune détenue de Saint-Lazare racontée par elle-même, et deux chansons inédites de deux prisonniers célèbres de Sainte-Pélagie, les cabinets de lecture qui louent dix sous la demi-heure les exemplaires du Journal des Débats, les analphabètes qui se font lire les épisodes du roman par les concierges instruits, les malades qui, pour mourir, attendent la fin de l'histoire, le président du Conseil en proie à des crises de colère lorsque l'épisode ne paraît pas, les jeux de l'oie inspirés des Mystères, les roses du Jardin des Plantes baptisées Rigolette et Fleur-de-Marie, les quadrilles et les chansons suggérées par la Goualeuse et le Chourineur, les requêtes désespérées que le roman-feuilleton engendre déjà et engendrera encore ("Faites revenir le Chourineur d'Algérie ! Ne faites pas mourir Fleur-de-Marie !"), l'abbé Damourette qui, poussé par la lecture du roman, fonde un orphelinat, le comte de Portalis qui préside à l'institution d'une colonie agricole sur le modèle de la ferme de Bouqueval décrite dans la troisième partie, les comtesses russes qui s'imposent d'interminables voyages pour obtenir une relique de leur idole – parmi toutes ces délirantes manifestations de succès, Sue atteint le sommet rêvé par tout romancier, il réalise ce que Pirandello ne fera qu'imaginer : Son public lui envoie de l'argent pour secourir la famille Morel. Et un ouvrier chômeur, nommé Bazire, lui réclame l'adresse du Prince de Gerolstein, afin d'avoir recours à cet ange des pauvres, ce défenseur des indigènes.
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