Pour s'empêcher de pleurer encore, elle eut recours à sa rêverie préférée : elle le faisait chaque fois qu'elle avait besoin de courage ou de réconfort. C'était une rêverie qui était en même temps une promesse, sa promesse personnelle, la promesse qu'elle s'était faite à elle-même de ne jamais renoncer à lutter contre ses astres. Dans cette rêverie, elle avait surmonté les obstacles de son horoscope, et elle était dans son propre foyer en train d'attendre son mari, qui était tantôt notaire, tantôt employé de bureau. D'autres fois c'était un savant, quelqu'un qui ne pourrait pas reprocher à une femme d'être instruite, ni de dessiner. Tantôt sa maison se trouvait dans l'enceinte des murs de la ville, tantôt à l'extérieur, entourée de vergers et de champs. Parfois des enfants faisaient des culbutes à ses pieds, parfois elle était seule avec son époux. Mais toujours, elle était dans son espace à elle. Et elle avait toujours quelqu'un dans sa vie qui lui appartenait, à qui elle appartenait.
Et toujours, elle était libre.
- Nous pouvons dessiner à notre gré si notre travail est terminé par ailleurs.
- Oh. Je pensais..(Giulia s'interrompit)
- Oui?
- Je pensais seulement que j'aurais plus de temps pour dessiner (Giulia posa un bol propre à sécher sur les dalles) Ou à regarder faire les peintres. Juste...pour apprendre.
- Au lieu de faire la vaisselle? (Soeur Angela se rassit sur ses talons, essuyant la sueur de son front de son avant bras) Pour devenir une artiste, il ne suffit pas de dessiner et de peindre. Avant de se servir de la couleur, il faut comprendre d'où elle vient et comment elle est fabriquée. Avant de travailler sur un panneau de bois ou sur un mur de plâtre, on doit savoir comment préparer le bois et comment on applique le plâtre. Avant de diriger un atelier, on doit connaître chaque aspect de son organisation, jusqu'au balayage des planchers. On doit pouvoir le faire soi-même avant de le faire faire par des apprenties comme nous, sinon on ne sera jamais véritablement maîtresse de notre art.