AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de FranCrim


Il arrive que cette vie indéfinie, que soutiennent seules la mémoire et la parole et qui est la seule, mais réelle, immortalité que les Grecs reconnaissaient aux hommes, connaisse de long assoupissements. On peut même la croire éteinte, cette vie, car la parole s’est éteinte qui prononçait leurs noms, la lecture s’est tue qui chaque jour leur redonnait un peu de sang, un peu de souffle. Elle est parfois moribonde, car il y a des époques qui ânonnent et qui balbutient, des saisons de l’oubli, de l’obscur, des temps où le monde a de petits yeux plissés qui rapidement s’offusquent d’un éclat trop étincelant, où il est fatigué de grandeur et rêve de minuscule, où il a d’autres soucis ou d’autres amours, où sa bouche édentée ne sait tout simplement plus épeler un mot grec, où ses doigts gourds ne peuvent saisir sans abîmer. Cataleptiques alors, ces héros s’enfoncent dans un sommeil de marbre, ils se laissent couler dans une mer atone, ils meurent pour longtemps, leur corps est la proie de l’archéologie. Et s’ils se réveillent, si on les réveille, il arrive qu’ils portent au visage des marques irréversibles de ce mauvais sommeil. Et il arrive qu’on les pousse, encore ensommeillés ou même mourants, sur une scène qu’ils ne reconnaissent pas et sur laquelle leurs gestes sont comme de plomb, leur bouche empâtée et grimaçante et ils ne comprennent pas ce qu’ils disent, ni ce qui leur arrive, et l’on bâille ou l’on rit, sans voir que c’est de soi que l’on rit. Parfois, ils étouffent sous un amas de feuilles qui leur fait comme une tombe, ils étouffent tant on met de papier dans leur bouche et si certains héros sont chroniquement fatigués, c’est qu’ils portent à longueur de journée des bibliothèques sur les épaules. Mais il arrive aussi qu’un coup de hache dans le bavardage, une voix forte dans le murmure exténué et radotant brise le tombeau et délie leurs membres, il arrive qu’un œil sache regarder les étoiles, qu’une main ferme prenne en frère leur main gantée de soleil.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}