Le silence lui fait du bien. Il chasse enfin cette sensation dégueulasse que lui a laissée la tête de la vache au fond du puits. Un motel, se répète-t-il. Vite, trouver un maudit motel où écouler le peu qu’il reste de la fin de semaine, et vivement lundi. Sa collègue aura certainement d’autres chats à fouetter ; lui pourra se concentrer sur son travail. Sur le procès-verbal du dernier comité Action-citoyen, entre autres choses, qui traîne sur son bureau depuis la fin janvier.
La femme du fermier. Il ne peut s’empêcher de remarquer sa poigne. La femme est presque aussi raide que son mari. Il lui trouve un petit quelque chose de déplacé dans ce décor farci de bibelots et de meubles vieillots. Pas qu’elle soit beaucoup plus jeune que le fermier — la mi-quarantaine, certainement — ni que ses mèches grises ou ses traits tirés ne trahissent une certaine fatigue ; mais voilà, il s’agit d’une femme beaucoup plus jolie que ce à quoi il s’attendait.
Le sang doit voyager lentement de sa tête à ses pieds. Trop de distance à couvrir. Et une fois tombé dans les bras de Morphée, un mécanisme étrange doit se mettre en marche. Le même type de mécanisme qui fait en sorte qu’en hiver, parfois, les moteurs diésel refusent de démarrer malgré que rien ne cloche dans l’alternateur ou la batterie. À tout le moins, le voilà réveillé, le grand échalas.
On aurait pu la croire en train de se faire dorer au soleil, songe Réal. En train de roupiller. Or, le ciel s’est couvert, et cette vache-là ne dort pas. Après son collier souillé, là où aurait dû se trouver une tête poilue couronnée de deux oreilles dociles, il n’y a rien. Qu’un tissu de nerfs et de chairs.
Le point de départ de toute vraie discussion, et un principe que j’aurais dû comprendre il y a de cela bien longtemps, crois-moi. Maintenant, Nico, je veux pas te presser, mais je vais enchaîner avec mes petites questions. Je commencerais par le commencement, si ça te dérange pas.
Mais voilà, la vie est ainsi faite, hein ? On se retrouve parfois à devoir ramasser les pots cassés. Et puis on se dit qu’on aura beau faire, on réussira pas à tout recoller, pas vrai ?