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Critiques de Virginie Descoutures (2)
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Les mères lesbiennes

Comme le souligne Eleni Varikas dans une belle préface, il y a un double paradoxe à « réunir ensemble ce que le sens commun et les normes sociales séparent : l’homosexualité, perçue socialement comme une transgression de l’ordre du genre, et la maternité, un des plus importants piliers de cet ordre et de la hiérarchie des sexes et des sexualités dont elle devient le support ». Ce travail sur la famille ou la parenté « par un angle inattendu » permet une appréhension du couple « en absence de la fameuse »différence des sexes’‘ – ce qui ne veut pas dire forcément en l’absence de domination masculine ; étudier l’homosexualité dans une autre perspective que celle des pratiques sexuelles et de la santé qui tend à identifier la population homosexuelle comme d’abord, et avant tout, »sexuelle » ; accéder enfin à la norme dominante, l’hétéronormativité, du point de vue de ce qui est son revers, son dehors constitutif, éclairant, ainsi, dans un même geste, la matérialité d’un statut stigmatisé et les contradictions et incohérences occultées par évidence de la maternité comme norme. »



Il s’agit d’un véritable travail de dénaturalisation de la maternité, par interrogations, compréhensions et interprétations, par des entretiens en profondeur, des « pratiques des actrices, leurs motivations, le sens social qui est attribué à ces pratiques par elles-mêmes, par les autres ».



Virginie Descoutures analyse les notions et concepts (parentalité, homoparentalité, famille monoparentale, couple parental ou travail parental) et restitue leur historicité. Elle réfléchit sur les multiples niveaux d’invisibilité induits par les désignations ou leur absence. « Au delà des débats pour ou contre, qu’en est-il vraiment de la réalité de ces familles ? A rebours de la question de la légitimité ou de l’illégitimité qui les fonde, je propose de partir de leur existence objective pour voir en quoi celle-ci permet d’interroger l’institution familiale et le poids du genre sur les individus qui la font advenir au quotidien ».



L’analyse du couple lesbien fait ressortir « deux registres de norme a priori contradictoires » : « celui d’être à la fois mère et lesbienne d’une part, et celui de se dire mère sans en avoir le statut légal d’autre part ».



Dans un premier chapitre introductif, l’auteure va analyser « L’homoparentalité et les transformations de la famille contemporaine ». Elle souligne que « la filiation est avant tout une norme juridique » et critique la fiction biologique et sa naturalisation. Elle traite, entre autres, de la parentalité comme « discours d’ordre public ».



La première partie « L’hétéronormativité au quotidien » est subdivisé en deux chapitres « Le cadre hétéronormatif » et « Entre distance et conformité à la norme ». L’auteure fait ressortir, contre une compréhension lisse des droits abstraits (concept d’humanité abstraite), la place de « l’égalité des droits et des traitements ». Il convient de souligner avec elle, que les minoritaires sont rendu-e-s invisibles par le non-questionnement des réalités, jamais données mais toujours construites. Je pourrais ajouter : dans des rapports asymétriques de hiérarchisation et de domination.



La seconde partie « Une expérience de la parentalité » comporte deux chapitres « Maternité et conjugalité » et « Les compétences parentales à l’épreuve du statut »



Il est difficile de transcrire la richesse de cette partie (entretiens et analyses). Je n’en propose que quelques extraits :



* « la difficulté de vivre au quotidien sans »être reconnue’‘ comme parent suscite un sentiment d’injustice qui révèle que la reconnaissance juridique du coparent est un élément important de l’identité parentale statutaire des individus. »

* « D’un coté, les origines »biologiques » de l’enfant ne font pas nécessairement le parent quand, de l’autre, »l’origine sexué’‘ désigne les parents, ce qui en retour fait tenir la »fiction biologique’‘ de la filiation tout en la relativisant. »

* « Les justifications en terme de disponibilité permettent donc, face à l’enquêtrice, de tenir le discours de l’égalité. Pour autant, quand on objective la répartition horaire des tâches, on constate une inégalité, qui reflète une inégalité de statut social et de revenus. »

* « Cette ambivalence à se positionner au sein de la famille est liée à deux principaux facteurs qui s’imbriquent l’un dans l’autre. D’une part, les mères non statutaires siègent à une place qui, n’étant ni définie socialement ni reconnue officiellement, est perçue comme non acquise, ce qui a pour corollaire d’accroître leur sentiment d’illégitimité vis-à-vis de l’enfant dont elles sont pourtant »à l’origine’‘ ; d’autre part, confrontées socialement au modèle dominant de »la famille’‘, elles n’ont pour décrire leur place que la référence à des rôles parentaux sexués ne correspondant pas à leur propre situation. Il est ainsi fait référence tantôt au rôle de la mère tantôt à celui du père. »



Si certains chapitres sont très « imbibés » du jargon sociologique, l’ouvrage n’en reste pas moins accessible. Ce livre permet de mettre à jour les « présupposés devenus évidences de la maternité normale », c’est à dire fondée sur l’hétérosexualité. Il nous rappelle aussi que les liens conjugaux et filiaux sont nécessairement construits, et qu’il est possible de les construire autrement que dans un cadre hétéronorminatif. En étant/agissant, les mères lesbiennes participent à « une redéfinition des possibles » et leurs enfants ont besoin d’être « comme tous les enfants reconnus et protégés par les règles de la filiation qui définissent les droits et les devoirs parentaux ».



Complément possible : Note de la Fondation Copernic : Homosexualité, mariage et filiation. Pour en finir avec les discriminations (Syllepse, Paris 2005)
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Sous les sciences sociales, le genre

Contre les sciences normâles, la voie de la bandita productive et imaginative



« Pour se faire une place dans leurs disciplines académiques, les études féministes et, plus généralement, les recherches sur les femmes, les rôles de sexe, les identités sexuelles, les rapports sociaux de sexe ou le genre ont toujours dû se positionner par rapport aux discours scientifiques dominants, et faire rupture avec des sciences sociales que l’on pourrait qualifier de « normâles » (ou « malestream ») et qui pensent au masculin sans en avoir conscience ; sans en avoir conscience et en imprégnant à des résultats ou des théories censés être « objectifs » une « neutralité » de fait marquée par son aveuglement aux inégalités entre les hommes et les femmes et, plus profondément encore, à la domination des secondes par les premiers ».



Compte tenu de la nature de l’ouvrage, je n’évoque ici que certains points traités dans l’introduction. Ses auteur-e-s (?) indiquent : « nous avons choisi un ensemble d’auteurs reconnus et enseignés dans les cursus de sciences sociales, et proposé à des spécialistes de ces auteurs de les questionner selon une grille commune afin de mettre à la portée d’un public d’étudiant-e-s et d’enseignant-e-s, voire un public plus large, un examen critique des œuvres sous l’angle de la question du genre ».



Les auteur-e-s parlent de production d’outils d’analyse « pour sa propre sociohistoire », de corpus sociologique à la fois ouvert et limité, de marginalité des femmes, de relecture des sciences sociales écrites au masculin…



« Qu’apporte la question du genre à la relecture d’une œuvre ? Peut-on, par exemple, déceler dans l’œuvre un « sous-texte » sexué ou genré, un impensé genré, des présupposés, explicitent ou non, de la division sexuelle, un langage sexué/genré ? ».



Comme le soulignent les auteur-e-s, « la pensée du symbolique tend à prendre le dessus sur celle de la matérialité et de la violence réelle et physique des rapports entre les sexes ou de la division sexuelle du travail et du pouvoir » dans bien des textes étudiés. Elles et ils (?) parlent de l’absence, plus ou marquée, de « point de vue et connaissance située », du rôle des femmes dans la structuration des sociétés, des rapports politiques, « les rapports hommes-femmes sont d’abord des rapports politiques qui gèrent l’organisation des sociétés comme le font d’autres rapports de pouvoir », de la minoration et de la déqualification du travail des femmes, d’absence de pensée des hommes comme « classe de dominants »… Coercition et conflits oubliés produisent une sociologie lisse et descriptive…



Dans cette introduction, j’ai particulièrement apprécié, les paragraphes sur « Penser la modernité », « Les femmes des grands hommes » et la conclusion « la voie de la bandita ».



Le livre est divisé en six parties :



Structures, structuration, pratiques (Auguste Comte, Emile Durkheim, Marcel Mauss, Claude Lévi-Strauss, Pierre Bourdieu, Maurice Godelier, Anthony Giddens)



Acteurs, savoirs, régime d’action (Talcott Parsons, Michel Crozier, Alain Touraine, Raymond Boudon, Carlo Ginzburg, Luc Boltanski, Bruno Latour)



Interactions et production de l’ordre social (Everett Cherington Hughes, Alfred Schütz, Anselm Strauss, Harold Garfinkel, Erving Goffman, Howard S. Becker)



Classes sociales (Karl Marx, Friedrich Engels, Pierre Naville, Richard Hoggart, E. P. Thompson)



Progrès, rationalité, dynamiques de l’Occident (Max Weber, Norbert Elias, Philippe Ariès, Jürgen Habermas)



Critique de la modernité (Georg Simmel, Karl Mannheim, Theodor W. Adorno, Hannah Arendt, Michel Foucault)



Ces articles, par la diversité des points de vue, offrent des visions critiques et parfois passionnantes, des écrits de certain-e-s auteur-e-s. Cela m’a permis aussi de découvrir des analyses, des auteurs ou des éclairages nouveaux d’oeuvres lues. Sous les sciences sociales, le genre est bien souvent un non-dit, réduisant, limitant ou annulant la portée des analyses. En absence de point de vue sexué (lui même non-indépendant du point de vue de « classe » ou de « race », etc.), l’objectif se rétrécit de manière plus ou moins important au subjectif, un faux universel domine/masque les « particularismes » et dénature l’universel, sans oublier les invisibilités… Cet « oubli » ne peut plus être considéré comme « inconscient ».



La non-prise en compte du genre, aujourd’hui, par certains (économistes, sociologues, « politologues », historiens, etc…) disqualifie, à mes yeux, une bonne partie de leurs analyses.



Et dans cet ouvrage même, il est dommage que les auteur-e-s n’indiquent pas toujours, de manière explicite, leur « propre » intégration du « prisme du genre » aux études. Reste que « le genre » peut-être abordé de multiples façons, et qu’universitairement il est souvent dépolitisé…



Le genre sous les sciences sociales certes, mais quant-est-il des sciences sociales ou des « scientifiques » au crible des lectures féministes ?




Lien : https://entreleslignesentrel..
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