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Critiques de Werner Lambersy (19)
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L'oeil à facettes

Le noir et le blanc accompagnent avec une puissante délicatesse des instantanés pleins de vie, de poésie, d’émotion et, parfois, de drôlerie.

Jean-Pol Stercq, photographe belge dont le port d’attache se trouve à Granville, nous entraîne dans ses déambulations à travers l’Europe. Bruxelles, Paris, Nice, Florence, Granville mais encore Portugal ou Maroc se dévoilent sur ces clichés comme autant de clins d’œil adressés au spectateur curieux que nous sommes.

De ces personnages silhouettes, face à la mer, à Donville les bains ou à Nice, nous ne saurons rien et les cyclistes croisés à Bruxelles ou Budapest affichent la même désinvolture pour s’emparer de la ville. Spontanés, les enfants de Florence nous sourient tandis que ceux des Fagnes n’ont de regard que pour la vache dans le pré. Quelques beaux portraits aussi, retravaillés selon un procédé particulier qui les transforme en tableaux, on y trouve des anonymes et des célérités comme l’épouse du peintre, Georgette Magritte, l’auteur de bandes dessinées Hugo Pratt ou le saxophoniste Archie Shepp.

La poésie des clichés se complète de formes littéraires courtes de deux poètes : Patricia Castex-Menier et Werner Lambersy.

« Chronique de l’homme à la chaise de paille

Aux yeux perdus

Parmi les galaxies »

Nous dit Werner Lambersy face à cet homme solitaire qui avale un repas frugal

Et, devant ces ponts qui se reflètent dans la Seine, Patricia Castex-Menier écrit :

« L’arche redoublée

Dans l’arche,

Pour le simple bonheur

D’avancer dans le reflet »



Beaucoup de nostalgie et de tendresse dans ces petits poèmes jetés comme des dés fac à des clichés sans date, témoins indéfectibles des hommes et des lieux.

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Dormances

En découvrant ce titre, « Dormances », on peut penser que Werner Lambersy nous parle de vie ralentie, de grand sommeil.

« Longtemps /J’ai rêvé mon âme

Je ne sais / Toujours rien d’elle/Mais le monde a fait /Le nécessaire

Il m’a montré la place / Vide / Comment attendre / Et quoi. »

Pourtant, au gré des pages, la vie est là qui s’agite et s’ébruite au son « des maracas des planètes »

L’amour se faufile d’un poème l’autre, « l’amour est en feu/ L’amour est en flamme » mais aussi « Le bois flotté du sexe et de l’amour ». Pourtant, la vieillesse est là et avec elle la mort qui s’invite entre agitation du monde et endormissement.

Le poète s’interroge encore et toujours sur l’existence de Dieu

« Dieu ne fait pas problème / Il se débrouille /Seul »

On ne peut évoquer le poète sans parler de la dimension sociale et du désenchantement qui perce

« On lance/ Des paquebots qui ne/ sont pas beaux/ Vers des villes des îles/ Qu’ils détruisent/ En payant »



Les peintures de Sylvie Lobato qui illustrent ce recueil entrent en résonance avec l’écriture de Werner Lambersy. L’artiste peint des corps libres, voluptueux, qui nous captivent par leur singularité. Il y a des fêlures et des mystères dans ces dessins autant que dans les mots du poème.

« L’écriture est un cheval /Qui doit ruer dans / Le pinceau »



Tout du long, j’ai été frappée par la justesse de ton d’une langue dépouillée et façonnée d’émotion d’un poète qu’il faut lire, absolument.



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Les convoyeurs attendent



Placé en exergue de ce recueil, il est écrit « Les convoyeurs attendent, bulletin colombophile à la radio » Derrière cette expression colombophile courante en Belgique lorsqu’on doit surseoir au lâcher de pigeon, se profile une poésie d’un monde sans illusions sous le regard désenchanté du poète qui proclame « aujourd’hui, rien ! » mais résiste à sa manière « On sait qu’il ne faut rien céder »

Le poète fait front, armé de sa propre langue face à ceux qui « écrivent trop / Pour qu’on lise l’écran / Les journaux et/ Les livres sans poésie »



Écrire, mais comment, dans ce monde bouleversé que nous laisse entrevoir le poète obstiné. La violence a déposé son empreinte sur ces pages car il y a eu la guerre avec « les frelons noirs de ses escadrilles », il y a ce monde que « les hommes détruisent », ces hommes qui affament, massacrent et le poète qui ordonne : « Écris avant le déluge/ L’apocalypse énième »

Tout n’est pas sombre dans ce recueil, loin de là, car il y a la beauté du poème et cette liberté dans l’air et les arbres du jardin, la nature en filigrane.



Ces pages sont aussi empreintes d’un souci écologique « La terre agonise » et « Les forêts mortes se /Dénudent de/ Leurs nids »

La femme, l’amante et là « et je frotte l’ambre douce de ta présence », elle se coule dans les strophes d’une tragédie moderne où l’homme se frotte à sa mémoire, à son passé. « Et la mémoire de ma/ Mémoire se souvient »

Tant de concision dans le style n’est pas sans rappeler la brièveté du haikus :

« Tant d’incendies

Comme on habille le silex

D’étincelles »



Métaphorique et dépouillée, l’écriture de Werner Lambersy n’en finit pas de nous toucher par sa justesse.






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La chute de la grande roue

Werner Lambersy publie La Perte du temps son

dernier recueil chez l’éditeur Le Castor Astral.



Écriture poétique singulière, variée tant dans le ton

que dans la forme.



" Juste dans la bouche

Sombre voir fondre

Le long sucre d'orge

D'un crépuscule rouge "





La Grande Roue nous fournit cette puissante image

d'horizontalité, couchée au sol, Babel écroulée ou

bien illusion, enfance déplanifiée.



" Conserve son énigme

La grande roue est

À terre



Qui paraissait si grande

Sous la voûte de l'air



Son absence est énorme

Mais la beauté tourne

Dans l'enfance perdue



Seuls les arbres nous

Consolent d'être des

Feuilles qui tombent "





Le poème détiré n'aborde ni raison ni

causes du drame. Il propose simplement

sa poétique régénératrice.



" La grande roue

De l'écriture tourne sans

Fin

(On la voit peu par

Temps de feux d'artifice)



À peine entend-on un

Murmure et son rythme



Mais des anges discrets

Emporterons plus loin

L'étrange voix

Dans quelques livres lus "





Par ailleurs, sous l'entrée

« LES GRILLONS CHANTENT LA NUIT »

toujours cette poésie si particulière,

quotidienne et humble :



" Fleur de sel !

Chaque seconde

Dont le goût réveille

La matière



Dont la force soulève

La vie



La vague démesurée

Qu'une fourche

D'embruns sur l'onde

Remue retourne

Basculant la brouette

D'un crépuscule



Pour amender "





Pour ce recueil Werner Lambersy a été récompensé

par le Prix « Gauchez-Philippot ».

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Dites trente-trois, c'est un poème

Un recueil de poésie pour dire ce qu'est un poème...ce qu'il nous apporte, où on le trouve - ou pas.

" un poème

ça s'attrape un peu

partout

(...)

Mais quand il passe

c'est tout de suite

ou c'est raté"



De courts poèmes qui disent l'importance, des mots, de la poésie, du bonheur de trouver un poème qui nous parle...

" Ce qui compte c'est

que toi

tu saches qu'il est là"



Un court recueil pour faire un petit bout de chemin avec la poésie mais.... "Si vous vous êtes manqués ce n'est pas grave...."

On a tant à apprendre d'un poème.

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Des âmes vagabondes

Quatorze âmes vagabondes du début du XXe siècle en Bulgarie venues jusqu'à nous... d'abord, l'intérêt est culturel : découvrir une poésie cousine des francophones Verlaine, Baudelaire, Maeterlinck côté belge... très lyrique-romantique (l'influence allemande ?) et assez dépressive dans l'ensemble, ce qui en fait un morceau un peu lourd au final, d'autant que je suis de celles qui préfèrent la poésie en petits recueils, ou en lecture "je pioche de temps en temps" (mais là c'est une masse critique donc j'ai tout lu en un mois). L'automne, la pluie, la mort, la solitude... thèmes déclinés sur des poèmes aux formes classiques mais diversifiées tout de même. Amoureuse de Verlaine, je n'ai pas eu de coups de foudre pour ces écritures mais quelques tournures, quelques textes, m'ont plu et ce livre reste à portée de feuilletage dans ma bibliothèque.
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Le sous-marin de papier

Quel joli recueil de poèmes en rayon jeunesse ! Pris sur un coup de tête de son présentoir, j'avais accroché avec les jolies illustrations photos. Aussitôt ramené, aussitôt lu : j'ai aimé partir dans ce monde de rêves et d'images joliment trouvés et pensés. J'ai été littéralement emportée !
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Dernières nouvelles d'Ulysse

"On ne revient / jamais d'une guerre". Mais d'où revient Ulysse, sinon de la guerre de Troie ? Derrière le paradoxe, on devine le fond du problème : entré dans la logique de la guerre, Ulysse ne pourra plus en sortir. Il ne revient que pour tuer les prétendants. ll ne revient que pour d'autres types de guerre, car tout est guerre, ici bas, la finance, la religion, la société de consommation, l'intoxication nucléaire de la planète. "L'odyssée" / Dure autant que vivre // La guerre / Autant que le pouvoir." Voilà pourquoi on attendra toujours de "dernières nouvelles" d'Ulysse : tout ce qui est guerre le concerne, et il n'est pas près de rentrer de Troie. "La bombe d'Hiroshima / Tombe toujours."

Alors, devant le désastre éternel, inéluctable, la tentation est grande du silence. Adorno (ou l'interprétation qui en fut faite) avait annoncé la mort de la poésie après Auschwitz, "et ceux / Qui revenaient / Des camps longtemps // Se turent / Certains que personne / Ne les croirait." Ulysse est celui qui écouta les sirènes : mais jamais il n'a révélé leur chant. Qui nous dit qu'il était suave, cet appel à la mort suppliciante ? Témoin privilégié d'un monde inaudible, il écoute.

On l'aura compris, Ulysse n'est pas que le roi d'Ithaque, il est chacun de nous en retour d'une guerre éternelle, celle de la vie, en Odyssée perpétuelle, celle de la vie. Il est le compagnon sur le Tour, il est le fils qui prolonge le père, il est le fondateur qui cherche à rebâtir au sortir des destructions, il est l'artiste qui transmue en poème le silence de la stupéfaction. Car s'il y a deux silences, celui, écrasé d'absurdité, des rescapés de l'indicible, et celui, lourd de sens, du Christ devant la femme adultère, il y a deux discours, celui qui ne fait qu'habiller le silence et prolonger la destruction du sens, et celui qui le restitue, qui donne sens à l'insensé, la parole de la poésie. Se taire ? Oui, car on ne peut plus parler au retour de l'enfer. Mais comme Ulysse à l'écoute des sirènes, on peut entendre le chant sans commencement ni fin, qui ne rompt pas le silence, que seul révèle le silence. Le recueil commence sur un signe de ponctuation, presque le seul sur cent pages, sinon dans toute l'oeuvre de Werner Lambersy : trois points de suspension. Bien entendu, il n'y a pas de point final. Il faut les écouter, ces trois points, que j'appellerais initiateurs par référence aux "trois points terminateurs" qui terrifiaient Lautréamont et qui m'ont toujours évoqué quelque secte apocalyptique. Écoutez-les, car ils placent le poème dans son essence profonde : la prolongation d'un chant éternel, préexistant et subsistant.

"...Ici commence

Le chant qui jamais

N'a cessé"

Ce chant "sans origine / Sans bornes ni bords", ce chant "ensemencé de paroles" qu'il ne délivre pas, mais qui germeront en nous, ce chant sans fin, "Qu'aucune apocalypse / Ne désarme", est la seule réponse à la vieille condamnation attribuée à Adorno : si le poète doit se taire, c'est pour écouter le poème. "Ici commence le chant" est le leitmotiv de ce recueil. "Ici commence le chant / Qui durera / Autant que les hommes" en est la conclusion. Voilà pourquoi ce livre est optimiste dans ce grand vomissement de massacre et de barbarie, et profondément religieux dans son athéisme apaisé. Il célèbre la disparition de l'homme, non pour que tout s'anéantisse, mais pour qu'autre chose naisse de sa disparition, comme, dans la tradition juive, la disparition de Dieu dans le zimzoum initial a laissé place au monde.

"Aujourd'hui

L'heure est peut-être

Venue pour nous

De mourir



Mais pas

Sans avoir donné

Autre chose où

Nous serons

Comme d'autres sont

Bréviaires du banal"



Voilà pourquoi le poème, qui traverse ce recueil comme le vent traverse le désert, est à la fois la Genèse, l'Odyssée, l'histoire du monde, la vie de l'homme, l'acte d'écrire et celui d'aimer. Tout cela doit se lire dans un même flux, qui mélange les genres, les thèmes, les époques. Grand fourre-tout chaotique, diront les lecteurs pressés. Non pas. Mais un livre univers, un livre éternité, où l'Histoire comme le Monde seraient une immense feuille de papier froissée et roulée en boule, où tout se côtoie en désordre, où les lointains se rejoignent, une feuille qu'il faudrait lire transversalement, comme si l'on y enfonçait une aiguille, sans chercher à la défroisser, car ses plis et ses circonvolutions lui donnent un sens que le texte reconstitué ne contient pas. Voilà comment le "bréviaire du banal" des atrocités humaines sans cesse recommencées devient la mer des histoires où Ulysse, ballotté par les flots, couvert d'écume et de varech, trouve son chemin.
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La perte du temps - On ne peut pas dépenser d..

« Nous entamons la descente ». Il arrive un âge où il faut choisir entre fermer les yeux et regarder par le hublot le terrain d’atterrissage. Werner Lambersy a choisi la lucidité. Il n’y a pas besoin de perdre son temps : il se perd bien tout seul. Plusieurs de ces poèmes sonnent comme des inventaires de nos petits désastres quotidiens. Quand on n’a plus la flamme pour allumer le tabac sec du sexe et que les yeux déjà sont comme ceux du merle.

Mais il arrive aussi que l’on y gagne à perdre le temps... « Je prends / une plume et du papier / et j’attends ». Le poème naît de tout ce qui échappe aux horloges, des souffles « que l’on expire pour / dilater un peu // la vie qui se rétracte », des petits miracles quotidiens — les pommes de terre dans une assiette — comme des épiphanies majuscules, celles de l’amour ou de la communion avec le monde. Des paysages grandioses et des peaux de harengs se dégagent un même verbe sacré, celui du poème, qui transmue le monde et instaure son propre temps. Le poème et le monde se fondent en images fulgurantes — « la pluie n’avait pas / de paupière » — « le vieux / cure-dents de l’horizon »... Bien sûr, la mer est plus forte que la colère et la montagne plus puissante que le calme. Mais avec l’air, qui est bien peu, on invente le souffle, et du souffle naît la parole.

Cette conscience de la vanité de l’homme et de ses prétentions, mais aussi de sa formidable capacité à accueillir l’absolu et à le traduire en mots, donne sa densité au recueil. Le paradoxe se prolonge dans un second recueil publié à la suite, On ne peut pas dépenser des centimes, qui se présente comme une suite de dialogues aux allures de koans zens entre un jeune homme en quête de vérité et un maître habile à le déconcerter, dont il ne restera pas même la buée de l’haleine sur la vitre. Car la parole aussi s’épuise avec le souffle. Mais est-ce vraiment l’essentiel ? Il importe surtout qu’elle ait été dite.
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Des âmes vagabondes

Je voudrais saluer le travail du traducteur Krassimir Kavaldjiev, traducteur depuis le français en bulgare de Albert Camus, André Makine, Tristan Todorov, Jacques Lacan ainsi que depuis le bulgare de Angel Wagenstein, Tsvetanka Elenkova, Georgi Grozdev, Tchavdar Moutafov : si le talent et l’inspiration des auteurs est indéniable, celui du traducteur qui doit à la fois trouver les mots adéquats en total respect du travail original, tout en restituant la métrique des vers et l’esthétique de la poésie, est à mon humble avis une œuvre titanesque. Le recueil est généreusement accompagné d’un avant-propos de Werner Lambersy, poète belge, et d’une postface de Yordan Eftimov, auteur et critique littéraire bulgare.



Krassimir Kavaldjiev a fait le choix de présenter quatorze poètes : chacun d’entre eux est introduit par une courte biographie qui replace le contexte d’écriture. S’ensuit une petite sélection de poèmes de longueur inégale, certains assez longs, d’autres plus courts. Voici donc les quatorze auteurs : Pentcho Slaveykov, Ivan Andreytchine, Peyo Yavorov, Dimitar Boyadjiev, Teodor Trayanov, Sirak Skitnik, Ven Tin, Ekaterina Nentcheva, Nikolaï Liliev, Emanouïl Popdimitrov, Dora Gabé, Dimtcho Debelianov, Christo Yassenov, Christo Smirnenski. Je n’avais pas eu encore l’honneur de croiser leurs noms ni de près, ni de loin. La poésie reste encore un des domaines de la littérature difficile à explorer et à parler, et davantage encore lorsqu’elle provient d’un pays dont la littérature reste globalement un domaine assez confidentiel.



Parler de poésie oblige à parler versification, dans la limite de mes connaissances. On observe globalement un certain classicisme dans la forme : tout est versifié, quelques sonnets, beaucoup de quatrains, des odes (strophes en trois vers), beaucoup de huitains, on observe une métrique assez régulière. Si la forme reste globalement régulière, le fond reste beaucoup plus complexe. Je ne vais sûrement partir sur de l’exégèse poétique, je n’ai aucune prétention, certainement pas celle de vouloir décoder les intentions des poètes : même La quinzaine littéraire ne s’y aventure pas. Ce sont des poètes issus du symbolisme, les compagnons d’âme de nos Verlaine, Baudelaire, et autres illustres. Moi, j’y vois beaucoup de poèmes aux influences romantiques, Des âmes vagabondes, l’appel à la muse inspiratrice, l’ode à la nature, sa célébration à travers certains vers très lyriques – l’ode aux voyages, à la mort, au désespoir, à la souffrance.



J’ai eu une préférence pour les poèmes aux strophes courtes – de trois, quatre, cinq vers – mais aux vers très gutturaux une fois prononcés mentalement, ceux qui jouent des échos des assonances et allitérations. Ces poèmes qui insèrent de véritables coupures et laissent le temps au lecteur de réfléchir et s’approprier chaque strophe, l’une après l’autre. De même, peut-être poussée par une bouffée mélancolique, j’ai été davantage réceptive à ces vers où les poètes, qui finissent bien souvent mal – chute à cheval, suicide, mort à la guerre, mort inexpliquée, j’ai été surprise par la violence et la soudaineté de leur mort – par ailleurs, expriment leur détresse, un désespoir diffus qui bien souvent se propagent à leur environnement immédiat, qui endossent le mal-être des poètes. Je pense ici aux poèmes de Dimitar Boyadjiev, qui sont particulièrement sombres et funestes, pas de demi-mesure, la description de la ville éponyme Marseille est particulièrement sinistre et éprouvante, le mal-être indéniable de l’auteur est presque contagieux.



D’autres s’adonnent davantage dans la description, l’automne, qui est symboliquement la mort de la nature – de la sénescence des roses, des lys, des violettes – est un motif récurrent – tout comme ceux de la nuit, du déracinement, de la perte de soi et l’être aimé : les inspirations sont décidément d’ordre mélancolique, mais si on ne peut nier la beauté des vers entre l’accumulation de métaphores, de personnifications parfois difficilement déchiffrables, et des images aux dimensions démiurgiques qui dépassent la dimension humaine visiblement. La mort, la souffrance, le chagrin, et puis la guerre (des Balkans) transparait de ces lignes – notamment celles de Teodor Trayanov, à l’évidence marquées par son expérience et qu’il transpose en chants de souffrance, d’agonie.



À la lumière mes tentatives pour cerner le symbolisme à travers synesthésie et métempsychose, j’ai ressenti chez Ekaterina Nentcheva, dans le poème (Le soir dans le doux murmure) cette idée d’associer le bruit et la sensation du vent, sa mélodie, aux intonations du poème, aux allitérations ronronnantes des /s/ et des /r/, qui emporte cette voix dans l’inconnu et le silence des points de suspension et de la mort qui s’accroche aux /t/ durs de cette corde.



Le titre, il me semble, est une excellente synthèse entre synesthésie, le traducteur a su transmettre la musicalité de ces éléments de la nature auxquels les poètes vivent en communion, et la métempsychose qui laisse transparaître le déplacement continuel de ces âmes de poètes. Cette errance, cette transmutation, ou quel que soit le mot que l’on emploiera, chacun des auteurs s’emploie à sa manière à la mettre en mots, et surtout en images, en sonorités, en couleurs, en sensations audio et visuelles. Le choix de l’automne, en outre, comme saison de passage entre la vie estivale et la mort hivernale est finalement totalement cohérente.



Tous ces poètes mériteraient chacun un développement beaucoup plus approfondi mais il faudrait œuvrer dur pour trouver des recueils complets traduits en français. Ce qui différencie ces poètes de nous autres, simples mortels, c’est cette capacité à percevoir dans la vie, la nature, des choses et des sentiments que l’on n’est pas capables de percevoir, ils sont les interprètes d’un monde, d’un langage, qui nous est inaccessible. Le traducteur Krassimir Kavaldjiev, a, dans le choix des poèmes traduits et réunis ici, façonné un recueil assez homogène, malgré la diversité des sensibilités de chacun, ou les poèmes sonnent souvent en écho entre eux, à travers leur thème et leur tonalité. Le titre de l’ouvrage Des âmes vagabondes transmet ainsi cet appel, cette célébration, cette personnification de la nature, cela aurait aussi bien pu être la lune, qui est une figure qui les hante tous, comme l’automne, je le disais plus haut. Mais l’association âmes-vague-vagabondes qui constitue ce beau titre est définitivement la meilleure définition qui soit du symbolisme.




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Achill Island note book

Achill Island est une petite île au large de l’Irlande. Trois mille habitants, à peine, vivent en ces lieux battus par les vents et parfumés d’embruns. Son histoire est millénaire puisqu’on estime qu’elle est peuplée depuis le néolithique. Bien que reliée à l’Irlande par un pont, son éloignement lui permet de conserver des caractères coutumiers très forts. Ce court recueil, publié par Werner Lambersy aux éditions Rhubarbe, est une invitation à flâner dans une Irlande typique, celle d’hier et d’aujourd’hui. Une Irlande en résonance intime avec le climat et les éléments, parcourue des fantômes de son passé et tiraillée entre le désir de s’affranchir de sa tradition et le besoin profond d’en conserver intacte les aspects.



▪ Peindre le vent, la mer et la Mort…

Werner Lambersy déroule ses vers au rythme des jours. Un pas qui semble alenti d’on ne sait quoi. Une mélancolie ? Où est-ce parce qu’ici, on vit dans la proximité permanente des disparus ? Partout, leurs voix silencieuses semblent s’élever, du cimetière jusqu’au pub. Les tombes et le souvenir dessinent pareillement les contours d’un paysage au-delà de celui qui est offert à nos yeux. En ses épures, le poète convoque – invoque ? – les fantômes des anonymes et ceux des illustres Irlandais. Ainsi, les marins revenus de leurs ultimes voyages rencontrent Joyce ou Yeats autour d’une pinte. Mais cette omniprésence de la mort n’est pas une négation de la vie. Elle entraîne le poète à se pencher sur sa propre existence, depuis son origine jusqu’aujourd’hui : « Sous la couette/on écoute la voix de fausset/du coq de l’enfance ».



Cette voix, c’est le vent qui la porte sur cette terre à lui soumise. Un vent qui est d’ores et déjà un élément du panorama, au même titre que l’océan. Comme le bras prolongé de la mer sur ce morceau de terre d’Irlande… Pas un bruit de fond permanent et entêtant, mais une mélopée millénaire et rassurante : « Déjà personne/ne sait plus où naissent les vents/qui nourrissent le rêve ».



▪ Des vers sensuels et chamarrés

Tout en virtuosité ce carnet de voyage recèle des parfums, des sons, des matières, et des couleurs jetées à larges brossées. Pour un tableau sensible de cette Irlande rurale, pleinement maritime. Ce qu’on touche des doigts, ici, est rugueux, épais : c’est la tourbe sur laquelle s’assoient les églises, c’est la laine des moutons peints en arc-en-ciel, c’est la roche grisâtre des tombes, des bicoques. Des sensations qui paraissent en accord avec le cœur des hommes : dur à la tâche et sans effusion. Même la passion connaît des voies souterraines ; ainsi, le poète l’exprime : « Un pays qui conserve l’âme/dans la chaleur/secrète ». Une ambiance en décalage avec la course du monde, avec sa propension à ériger l’exhibition en valeur maîtresse. Le poète nous rappelle combien sont plus séduisantes les grâces qui ne se montrent pas toutes !

Les vers qui composent cet « Achill Island note book » font preuve du métier éprouvé de Werner Lambersy. Un travail d’artisan d’art, humble et sans esbroufe. Ils ont fait vibrer les fibres profondes de mon intimité humaine.
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Escaut ! Salut

Il est des fleuves au destin singulier, parce qu'ils traversent tant de pays qu'ils deviennent le symbole de l'union entre les peuples. Tels sont le Rhin ou le Danube.

Il est des fleuves au destin national, qui ont fini par s'identifier à un pays ou à une ville. Tels sont le Tibre ou la Seine.

Il est des fleuves grands comme une culture, tel le Mississipi, grands comme un symbole, telle l'Amazone, grands comme une religion, tels le Gange ou le Nil.

Et il y a l'Escaut. S'il traverse trois pays, il s'identifie surtout à la Belgique. S'il relie des nations, ce sont les frères ennemis puisqu'il passe par la Wallonie et la Flandre. S'il véhicule une culture, un symbole, une religion, c'est le vaste brassage typiquement belge entre l'esprit goliard, gaillard, gouailleur — zwanzique, dirait Werner Lambersy — et la spiritualité dentellière, la mystique décisive, les chevauchées wagnériennes. Titus Bibulus Schnouffius y partage une bière mousseuse avec Wannes Van de Velde dans le verre du soleil. Et tout cela,

"Tellement plat partout

Qu'on dirait l'horizon"

Le poète a décidé d'en suivre les méandres et les lignes droites, depuis la jeune fille a peine pubère que forme le fleuve à Antoing jusqu'à la matrone épanouie digne des Flamandes de Jacques Brel lorsqu'il quitte Anvers. L'Escaut est femme sous sa plume, éminemment désirable, séduisant et capricieux. L'escaut est homme sous sa plume, à la verge bondissante. La pensée à le suivre s'étend aux quatre horizons et vagabonde comme un méandre d'une course cycliste aux couvents d'Audenarde puis aux révoltes de Tyll Eulenspiegel ! Itinéraire personnel, culturel, amoureux, qui se fixe comme étapes, entre Antaing et Anvers, Tournai, Audenaerde, Gand, Wetteren, Termonde.

La poésie de Werner Lambersy, ce sont d'abord des images qui se touchent, s'écoutent, se regardent. On caresse "les hanches chaudes des cheminées" ou "les fesses lisses en moules de Zélande", on écoute les cloches qui jouent à pigeon vole avec les carillons à saute-mouton, et les mots nous pénètrent au plus intime quand le poète est "vrai comme l'épingle à chapeau". Mais c'est aussi un jeu sur les mots, il devise et divise, suit la ligne du fleuve comme le prince de Ligne... Les sons même lui parlent et résument le détonant mélange des peuples, lorsqu'il évoque Tournai "aux voyelles de France aux consonnes de Flandre". Les sons et les images conjuguent leurs effets dans des formules d'une hardiesse frappante, dans "la partie d'échecs du chaume et des friches en plains champs"...

Mais ce recueil, sous-titré "suite zwanzique et folkloresque", nous adresse aussi des clins d'œil complices, discrets, pour parler des femmes adultères "ou si peu", ou de l'homme qui courait devant les trains en sonnant une cloche pour écarter "les vaches les chiens et les passantes curieuses".

Je ne connais guère le cours de l'Escaut, pardon, Werner, et ne lis pas assez le flamand pour apprécier à sa juste valeur la traduction de Guy Coomerman, puisque la version est bilingue. Mais ton Escaut court jusqu'à Paris, puisque

"partout ou il pleut

C'est un peu la

Belgique"
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Des âmes vagabondes

Krassimir Kavaldjiev, grand traducteur d'auteurs français en bulgare, répare une forme d'injustice en faisant publier, aux éditions Le Soupirail dans la Vallée d'Auge, une anthologie de poètes symbolistes bulgares, assez méconnus en France.



Ne connaissant aucun de ces poètes, je me suis lancé sans a priori dans la lecture de ce choix de quatorze poètes des plus emblématiques du début du XXeme siècle. Sans nier l'important travail de traduction de tous ces textes, et la qualité de l'édition avec une fiche biographique par auteur, je m'interroge sur la cible de cet ouvrage. Les universitaires trouveront certainement là matière à analyse approfondie, mais je crains que ces poètes symbolistes aient du mal à passer à notre époque. J'ai beau chercher des pointes de modernité dans ces 266 pages, mais je trouve plutôt des textes désuets comme celui-ci :



Tu es venue, ô créature pure et dévouée,

telle une soeur chez son frère morose ;

de tes mèches claires tu as pansé les plaies,

tu les as caressées de ton haleine de rose.

(Teodor Trayanov 1892-1945)



Parfois, l'on ne peut s'empêcher de comparer certains poèmes et le Mort dans les Plaines de Trayanov, est loin d'être à la hauteur du Dormeur du Val...



Et ce n'est pas chez moi une volonté de renier les poètes du passé, car on trouve des poètes chinois et japonais du 8ème siècle au style curieusement très actuel. Il ne faudrait laisser penser à un jeune adolescent qu'il faille écrire de la poésie ainsi. Il y a tellement trop d'apprentis poètes à écrire ainsi avec toute la grandiloquence du symbolisme....



Ce n'est pas un hasard si Albert Samain, poète symboliste français cité en exergue par Ven Tin, est un peu délaissé au Panthéon des Poètes...



Mais bon, qui suis-je pour être si sévère et critiquer tout ce travail des auteurs et du traducteurs ? Ne soyons pas trop injuste, la préface de Werner Lambersy et la postface de Yordan Eftimov nous éclairent sur l'histoire littéraire de la Bulgarie. Le symbolisme a eu une importance majeure dans la littérature bulgare avec quelques influences françaises.



Et puis, il y a quand même quelques extraits qui m'ont tout de même accroché :



La nuit est plus profondément pensive

que le jour ; le souffle de l'éternité

est une haleine nocturne. A l'homme

appelé, la nuit dévoilera sa vocation

pour la première fois ; elle l'allaitera

comme une mère allaité son premier-né...

La nuit est la mère de la lumière.

(Pentcho Slaveykov (1866-1912))



*



Derrière moi, partout, le vent recouvre mes pas

de cendres : à jamais effacés.

Je ne vis pas - je brûle ! - et de cendres sera

ma trace dans l'infinie obscurité.

(Peyo Yavorov (1878-1914))



*



Sur la maison, le calme. Une alouette libre

tresse son chant accueillant

et tu es toujours l'enfant insouciant

qui épelle son premier livre.

(Nikolaï Liliev (1885-1960))







Pour tous ceux qui aiment ce genre de poésie :

L'aube s'avancera, ses sourires féeriques brillant

telle une flamme dans un calice de corail sacré.



Ou encore :

Rendez-moi mon amour éthéré,

rendez-moi mes songes d'hier

et la Thrace au firmament azuré

et la Thrace aux azurs sans frontières !



N'hésitez pas, offrez-vous ce livre et savourez-le avec ses ô, ses firmaments et ses azurs....





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Maîtres et maisons de thé

Il s'agit d'un voyage initiatique au coeur de la cérémonie du thé. Il y a d'abord le portique, puis l'allée, l'antichambre et la chambre où le maître vous attend.



Le livre est très hermétique et il m'a fallu du temps pour me sentir à l'aise... Mais il est composé de très belles phrases poétiques.
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Le sous-marin de papier

Premier recueil destiné à la jeunesse de ce poète lauréat du Prix Mallarmé en 2015. Les associations de ces poèmes intriguent, déconcertent et ouvrent l’imaginaire vers de nouveaux possibles : sous-marin de papier ; bonhomme de neige et château de sable ; lune en sabots ; bricolage des étoiles ou encore squelette du vent. Les illustrations d’Aude Léonard le sont tout autant
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Petits rituels sacrilèges

Le titre de ce très court ouvrage donne le ton. Werner Lambersy considère ici douze de nos rituels humains, ceux qui rythment certains instants de nos vies. Tour à tour il examine les funérailles, les épousailles, les victuailles, les relevailles, les jouvençailles, les fiançailles mystiques, les retrouvailles, la merveille, la conscience, le couple, les hommes & les femmes, et termine son inventaire par l’éveil. Cette énumération de protocoles conventionnels semblerait à priori rébarbative si l’auteur n’avait pas pensé à mettre son grain de sel sous diverses formes d’apophtegmes. J’ai voulu éviter « sentence », pour que ne se glissent insidieusement entre les lignes les termes de « affecté, cérémonieux, déclamatoire, doctoral, dogmatique, emphatique, gnomique, grandiloquent, grave, maniéré, pompeux, pompier, pontifiant, proverbial, prudhommesque, révérencieux, solennel, soufflé, tranchant « , dont vous trouverez le sens si vous cliquez sur le mot. Parce que les propos de Werner Lambersy ne jouent pas dans cette cour. Parfois persifleurs, parfois caustiques, et toujours poétiques. Il ne faut pas oublier que, même prosaïque (qui relève de la prose), l’écrivain est un poète. Et qu’il n’a pas besoin de césure, de rimes et de vers pour que la mélopée des mots atteigne son apogée.
Lien : http://ecriturbulente.com/
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Maîtres et maisons de thé

Un livre paru pour la première fois en 1979 aussi magnifique que les neiges du Mont Fuji, on pourrait oser le mot « sublime » s’il n’était autant galvaudé. Une avancée initiatique dans l’espace ouvert de la conscience, avec ses rituels, ses étapes, corps et esprit accordés, vers ce point où l’amour la poésie se rejoignent dans une même nudité, sans séparation, pas même une feuille de thé. Werner Lambersy possède ce don unique de tendre d’un même mouvement les fils de la corde : hauteur et profondeur, concret et abstrait, présence et attente, proximité et ouverture... Du grand art aussi zen que la cérémonie dont il parle. Un livre que je recommande, loin de la furie du temps, une sorte de balance suspendue, ici, en nous, et ailleurs où nous serions mieux. Admiration et reconnaissance pour la voix de Werner, si belle, si pure.
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Le sous-marin de papier



Ce livre, aux pages de fort grammage, est un véritable hommage aux mots.

Chaque phrase emporte le lecteur dans une ronde poétique non dénuée de charme.

Les remarquables illustrations d’Aude Léonard participent à ce voyage initiatique au pays de l’onirisme et du sensible.



Un recueil d’un grand esthétisme.
Lien : http://www.espritlivres.kara..
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Hommage à Calder

Qui ne connaît les mobiles de Calder, régis par des principes de physique très simples de mise en tension des éléments ? Légers, graciles, ils s’animent d’un simple toucher de la main ou de l’air. Suspendus, ils s’affranchissent de tout lien terrestre pour tourner libres « dans le grand espace », le cosmos, cher au sculpteur américain comme au poète.

Cette mise sous tension permanente des éléments est aussi celle de tout artiste qui tire son mouvement vital, sa gravité astrale de l’équilibre instable − mais vivant − de forces contradictoires : l’amour/la mort, la sérénité/la violence, la gravité/la légèreté, le présent/le passé, les laideurs de l’époque/ la beauté du monde. On retrouvera cette dualité jusque dans l’évocation de la naissance du poète : « 1941 / l’automne / où je suis né / fut un grand / millésime de sang dans la mémoire des papillons ».

A l’instar d’une œuvre de Calder, la poésie équilibre les forces contraires dans un seul mouvement, la légèreté en apanage. Le texte, long fil fin et vertical, tendu entre ses marges, bouge tel un mobile au gré des jours, des événements, des humeurs dans une continuité de vie à laquelle le poète se donne tout entier, corps, âme et esprit. Et quand il paye, c’est toujours « rubis sur l’ongle ». (À ce propos, noter que le précédent recueil Rubis sur l'ongle, paru chez Hermaphrodite en 2005, était une version beaucoup plus étendue de cet ensemble dont plusieurs textes ont été remaniés.)

Outre cette recherche d’équilibre, on retrouvera dès les premières pages du recueil les trois couleurs emblématiques des constructivistes russes : le noir, celui d’une nuit sur un tarmac ou de myrtilles « un peu d’encre au bout des doigts », le rouge du soleil et de « son sexe / ras / d’accouchée / dans un lit / d’hôpital », le blanc d’un « néon / qui vide son dentifrice / sur la chaussée »… Les images, originales, inattendues, incisives souvent, balancent entre concret et abstrait : « II neige / et ton âme / est neuve / comme / l’ouvre-boîte / électrique / que tu viens / d’acheter ». S’il est ici un maître mot de vie et de poésie, c’est le désir qui porte à aimer toujours car « il n’y aura que nous / pour s’occuper de nous », pour « emplir d’étoiles la nuit de / l’épiderme », rien que nous pour lier nos fils de solitude et d’absence au mobile qui tourne au-dessus de nos têtes : « L’oiseau sans / pattes / du poème qui / ne peut / que battre des / ailes / et pas se poser. »

Sur le grand cirque de la vie, le poète, ce « pique-assiette de l’infini » seul avec « la caisse à outils / de sa conscience » et sa « famine sans espoir » laisse parler sa « part sauvage / avec un fort désir de femmes et de vins ». Sa poésie se fait sensuelle, charnelle, cosmique. Quelle femme ne rêverait de recevoir pareille déclaration d'amour ? "Jamais / les fenêtres / du monde / ne furent / plus largement / ouvertes / sur l’horizon / un aussi / vaste / et fastueux / frisson… Jamais / l'univers ne fut / un corps / aussi profond / que le tien." On reconnaît là la langue hautement désirante et toujours renouvelée de Werner Lambersy qui sait allier sobriété et émotion, spécialement dans l’évocation de son fils, de sa mère ou de la femme aimée. On appréciera à d’autres moments les notes d’humour et de dérision qui montrent que le poète n’est dupe de rien. Ne pas avoir d’illusions permet de vivre pleinement le présent et de continuer à goûter « la matière manquante de l’âme / qui est toujours là ».

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