Je traverse la salle vide ; je monte l'escalier, et je bute dans un homme assis sur la troisième marche.
- Henri, lui dis-je, vous ne bougez donc jamais ?
On finira par croire que vous habitez sur cette troisième marche. Vous n'avez donc jamais envie de prendre l'air où d'aller faire un tour...ni même de descendre ou de monter une marche de plus ?
Henri - c'est le mari de Mme Céleste - lève vers moi un incroyable visage, aussi rouge qu'une soupe à la tomate. Il cligne du seul œil qu'il lui reste, un œil semblable à une rondelle de pomme de terre ; et il me répond placidement :
- Toi, tu vas ici, tu vas là, tu bourlingues dans tous les coins, et pourtant tu te retrouves sur cette marche d'où je ne bouge jamais...Alors, de nous deux qui est le plus avancé ?
Bing bing bang...bing bing bang...
Ecoutez le métro...écoutez la musique qu'il fait...
Il chante un hymne...le métro, c'est le mouvement, et le mouvement, c'est la religion de New-York.
C'était un beau pays, ces Etats-Unis, un pays riche et paisible. Bientôt, Diego aurait assez d'argent de côté pour aller chez lui, à Tehuacan, réunir les papiers nécessaires et obtenir du maire, au prix fort, qu'il les fasse signer par qui de droit ; après quoi, il pourrait rentrer légalement au Texas, et plus jamais il n'aurait peur.
Prenez un boursier, somnolent, vanné, impuissant...Le flux du trafic matinal le pousse dans le métro à la station de la Seconde rue...Arrivé à Wall Street, il ressort revigoré, jovial, tel un Napoléon de la finance. A cinq heures de l'après-midi, un petit bonhomme modeste, qui travaille dans la confection en gros, a quitté son bureau, sa journée finie. C'est un être insignifiant, effacé, craintif...Une demi-heure plus tard, il est au Bronx, chez lui et il flanque une raclée à sa femme. Il est le roi ; il est le coq qui se pavane dans son poulailler.
A quoi pensez-vous qu'on puisse attribuer ces transformations ?
Au métro.
De la berge du fleuve Angel Hernandez vit leurs deux silhouettes se découper dans la lumière des phares de la Chevrolet. Il les regarda faire demi-tout et s'éloigner. Alors, il sourit, enleva ses chaussures qu'il attacha par leurs lacets autour de son cou. Il était environ minuit moins le quart : il y avait à peu près une heure qu'il avait quitté la cantina en compagnie de Diego. Il ramassa le bidon d'essence de vingt litres que lui avait vendu le patron de la cantina, s'approcha du fleuve à tâtons, et y entra.
A cet endroit, le fleuve était large. Il faudrait qu'Angel avance avec prudence. Il mettrait environ un quart d'heure pour traverser. (...) Quand l'eau lui arriva aux épaules il se suspendit à son bidon vide et tout en battant des pieds, il se dirigea vers la berge américaine.