Ces quelques pages n’ont pas pour ambition d’être interprétées comme une thèse sur le comportement humain, ni même une étude sociologique approfondie des différents peuples rencontrés, ou, le cas échéant, de leurs us et coutumes, ni même une soi-disant quête scientifique afin d’analyser certaines croyances, certaines religions, certains mythes ou d’étranges traditions. Ces lignes ne doivent pas être parcourues comme un récit historique, un voyage autour du monde, somme toute de nos jours, presque ordinaire, non plus comme un emploi du temps précis voire rébarbatif dont finalement personne n’a rien à faire.
Non, vous découvrirez, au fil des pages, un témoignage humble – parfois naïf – d’une certaine vision de la vie, une image anecdotique des pays traversés, la rapide description du fondement de leurs cultures qui n’a pour objectif qu’attiser la curiosité du lecteur, on pourrait même dire par analogie du voyageur !
Il se promenait tranquillement dans la rue lorsqu’un cycliste s’arrêta et lui demanda en français : « ne serais-tu pas français ? » Tout étonné, il répondit affirmativement et demanda la raison de cette question : « tu portes une ceinture de Français et j’ai acheté la même à Paris ».
En effet, il lui montra fièrement la même ceinture qu’il devait porter continuellement. Ils allèrent ensemble au magasin de son frère, détaillant de bijoux. Il voulut se lancer dans ce qu’il espérait ne pas être une troisième arnaque, mais plutôt un commerce juteux et constructif. Le marchand lui proposa de jouer le rôle d’intermédiaire.
En tant qu’étranger, il pouvait exporter d’Inde un certain montant de pierres précieuses et semi-précieuses en direction de Bangkok. À son nom, le marchand enverrait à la poste restante de Bangkok les pierres que l’aventurier récupérerait une fois arrivé dans ladite ville. Celui-ci irait ensuite porter les cailloux chez un bijoutier local dont le marchand allait lui communiquer les coordonnées et les lui échangerait contre une forte commission et la garantie prise par le vendeur auprès de notre aventurier. Celle-ci représentait l’évaluation des pierres en roupies ponctionnée sur la carte bleue du Français, la commission qu’il pouvait en retirer s’élevait à la somme des pierres en dollars majorée d’un pourcentage appréciable. Il pouvait récupérer ainsi environ deux mille six cents dollars de commission non taxable. Deal intéressant !
D’autant plus qu’il avait, lui, comme garantie, les pierres elles-mêmes. Le marché lui sembla honnête et équilibré, à part naturellement pour l’État qui perdait probablement quelques contributions.
Voilà l'hospitalité turque, cette hospitalité qui demeurait certainement le premier contact de qualité que l'on pouvait espérer et qui était susceptible d'aboutir à de si nombreux échanges culturels, économiques, politiques, artistiques. C'était peut-être cela la richesse d'un pays, développer sans cesse la communication entre les hommes...
Près de trois mois s’étaient déjà écoulés depuis son départ de France, vivant au gré d’innombrables découvertes quotidiennes, son unique paletot ancré et saucissonnant son dos, ses mains pleines d’une folle énergie – et non désespérément agrippées à d’improbables poches crevées –, accumulant faits étranges, rencontres insolites, situations cocasses, nuits agitées et interminables journées de transport, d’échanges humains, de réflexions personnelles.
Le chemin qu’il avait décidé d’emprunter – ou que les Muses avaient décidé que leur féal emprunterait? – était semé d’embûches, certaines pleinement envisagées et assumées, d’autres subies et bataillées avec la belle et pure énergie du désespoir, la chance souriant finalement toujours aux audacieux !
Presque six mois d’errance continue déjà ! Une errance jubilatoire à travers le Moyen-Orient et l’Inde. Il ressentit comme une évidence – voire comme une intime exigence – de peser au trébuchet : analyser les changements qu’avait subi ou choisi notre aventurier. En effet des évolutions discrètes, silencieuses, malaxaient onctueusement ce corps et cet esprit en formation, en apprentissage. Même s’il savait que le monde influait en partie sur cette matière en devenir, il voulait reprendre le contrôle sur lui-même. Pour tout un chacun, le jeune homme pourtant semblait demeurer le même. En réalité il s’était forgé quelques vérités dont il commençait à ressentir toute l’épaisseur, lui donnant en conséquence une assurance assumée face aux aléas souvent bizarres, parfois surprenants de la vie. La confiance naïve de l’enfance mutait délicieusement en une assurance de choix et de responsabilités.
Il traversait des paysages fantastiques qui ressemblaient à un écorché. La peau délicatement ôtée, on distinguait les muscles harmonieux de la roche près de couches irrégulières. Le rouge sang se mêlait au bleu des veines et au blanc des os. Chaque couleur ayant son territoire défini sur le relief difforme du cadavre ausculté.