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Citation de theaudu57


Le roman, me dis-je cette nuit-là, était encore trop scientifique ; il s’encombrait de logique et de déductions ; il n’était pas réalisable sans architecture. Il s’établissait sur le froid. Il exigeait des plans, sous-entendait des calculs. Il réclamait des échafaudages, des lignes, des fortifications ; il était gourmand d’efficacité. On ne pouvait l’appréhender sans règles. Le roman était l’ennemi des disproportions, de la folie fondamentale. Il n’était jamais complètement exempt de procédés – le roman était indirect, la poésie était directe. Il me limiterait ; j’étais friand de maladie, de
précipitation – d’excitation. Me réfréner, c’était mourir – écrire un roman
revêtait les apparats d’un exercice synthétique.

Je m’endormis sur ces conclusions que la découverte quelques semaines plus tard de Paradiso, de José Lezama Lima, allait faire voler en éclats. Lezama Lima qui, comme Proust, comme Joyce, était parvenu à tordre le roman, à l’extirper de la seule intelligence pour le soumettre à l’orgiaque appétit des sens, ennemi de l’algèbre et de la cohérence, avait concocté une chimie spéciale qui à jamais me soulagea ; moi aussi, un jour, j’écoulerais ma triste mélancolie par jaillissements permanents, dans une œuvre sans bornes et fourre-tout ; moi aussi, demain, ou après-demain, j’exploiterais mes fabuleuses obsessions dans une somme intempestive, et deviendrais à mon tour un illuminé – un illuminé du langage. Un fou.

Ma « vocation » irait se perdre dans l’excès – dans l’excès d’excès. Je pourrais libérer mes impatiences et lâcher mes chiens. J’y placerais mes flottements, m’y livrerais frénétiquement, jusqu’à ce que tout le monde se moque de moi – nul n’aurait suffisamment de patience, ni assez d’oreille, pour se vautrer dans cette débauche de pages musicales, énervées, aberrantes, magnifiques, juteuses, luxuriantes, merveilleuses – fécondes. J’y multiplierais les références, les jeux de mots. Jamais je n’y aurais peur d’être moi-même, c’est-à-dire ridicule. J’y serais ahurissant, définitif, drôle – qui est incapable d’humour est incapable de littérature.
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