Yannick Monget

Quand il arriva, plusieurs de ses hommes étaient réunis autour des postes de travail, à observer les moniteurs qui affichaient les vues de différentes caméras de surveillance situées à l’extérieur des hangars. Tom se rapprocha et découvrit sur les écrans de contrôle ce qui accaparait toute l’attention de son équipe, en l’occurrence, les véhicules de la dernière expédition MDS se dirigeant vers les douches de décontamination.

— Y a pas à dire, ils sont tout de même costauds, ces piafs, avait lancé Tony sur le ton de l’humour. Ils ont survécu à la crise d’il y a soixante-cinq millions d’années, alors que la plupart des dinosaures avaient terminé en toasts, et voilà qu’ils résistent encore à cette nouvelle extinction. Faudra qu’on m’explique un jour comment ils font !

Frédéric eut très certainement raison de ne pas vouloir se mêler à ces gens en furie qui, de manière totalement irraisonnée, avaient décidé de s’en prendre aux employés de cette société, symbole de l’énergie nucléaire en France.

Il était fort probable que les personnes piégées à l’intérieur de l’immeuble n’étaient que des civils totalement innocents n’ayant aucune responsabilité dans la catastrophe en cours.

Voilà une analyse dont s’était apparemment affranchie cette foule enragée, qui souhaitait seulement trouver un bouc émissaire pour en découdre et satisfaire un irrépressible besoin de vengeance.

— [...] les Japonais se sont battus jusqu’au bout et ont réussi à éviter le pire en maintenant les réacteurs dans un état d’arrêt à froid – techniquement, on m’a expliqué que cela signifiait qu’ils ont réussi à faire descendre la température interne des réacteurs en dessous de 100 °C. Ce que vous ne comprenez apparemment pas, monsieur le ministre, c’est que si cela venait à se produire dans toutes nos centrales, vous pourriez fuir où vous le voudriez sur cette planète : vous ne trouveriez aucun refuge.

— Et à Tchernobyl, comment avaient-ils fait ?
— A Tchernobyl, non seulement la plupart des liquidateurs ne savaient pas trop à quels risques ils étaient réellement exposés, mais en plus, on ne leur avait pas vraiment laissé le choix. L’armée ne faisait pas dans la dentelle, à cette époque.
— Sans compter que, si je me souviens bien, pour maîtriser Tchernobyl et mener à bien l’enfermement du réacteur dans son sarcophage, les autorités ont au final mobilisé plus de huit cent mille liquidateurs.
— Huit cent mille !

— Nous savons que trente-deux des pompiers qui intervinrent sur l’incendie du toit de Tchernobyl sont morts d’irradiations aiguës dans les semaines qui ont suivi l’accident, commença-t-elle. Lors de la conférence de Vienne, qui eut lieu en août 1986, les autorités soviétiques avaient tenté de simuler l’impact sanitaire en se basant sur le modèle Hiroshima-Nagasaki et les relevés effectués au niveau du sol. Ils étaient parvenus dans un premier temps à une estimation de quarante mille décès à venir, des suites de cancers multiples. Ce chiffre avait provoqué une levée des boucliers des lobbies, qui avaient réussi à faire redescendre cette prévision à quatre mille décès probables lors de la seconde conférence de Vienne, qui eut lieu deux mois plus tard… Un chiffre qui apparaît, je vous le concède, odieusement ridicule aujourd’hui. En réalité, si nous nous fions à des données émanant des Nations unies, en avril 2000, Kofi Annan avançait le chiffre de plus de sept millions de personnes touchées… Et ce chiffre continue régulièrement d’être revu à la hausse par l’OMS, car Tchernobyl continue de faire des victimes aujourd’hui encore dans toute l’Europe. Ce dernier chiffre demeure cependant une estimation, et un certain flou semble subsister, disons-le clairement. Et puis il faudrait savoir de quoi on parle : de victimes avérées ou de victimes probables ? Le problème, encore une fois, c’est que l’OMS, comme le disait Catherine, n’a jamais pu dévoiler toutes ces données, du fait de ces accords signés avec l’AIEA.

— Le virus Flame existait depuis plus de cinq ans lorsqu’on l’a découvert. Personne ne s’était aperçu de sa présence au Moyen-Orient. Il s’était propagé dans des milliers d’ordinateurs grâce à l’outil de mise à jour automatique de Windows et avait berné les systèmes de certificats de sécurité de Microsoft sans que personne s’en aperçoive.

Certains l’avaient classé, à tort, parmi les écologistes. Il était en réalité un fervent opposant de ce parti politique qui, selon lui, avait marginalisé des années durant – en tout cas, pour ce qui était de la France – la philosophie même de l’écologie.

– Toutes ces personnes se sont fait attaquer, et ont cherché à fuir précipitamment un danger imminent, repris doctement Miller. En abandonnant tout sur place… La seule chose que je ne m’explique pas, c’est qu’il n’y ait pas de traces de sang et toujours aucun corps… comme si…
Grant pivota vers le militaire qui n’avait pas terminé sa phrase.
– Comme si ?
Miller hésita.
– … Comme si tout avait été nettoyé.

[…] Mais cette image nous rappelle que la nature reprendra un jour ou l'autre ses droits. Il en a toujours été ainsi, et il en sera toujours ainsi. (p54)

Le désert blanc s’étendait à perte de vue. Tom soupira en considérant l’inlandsis et les zones montagneuses qui se découpaient au-dessus de l’horizon, derrière le triple vitrage de son compartiment. Il jeta un regard sur le cadran électronique situé près de la vitre ; ce dernier indiquait – 54 °C. Puis il observa un moment les cristaux de glace frapper, dans leur crépitement si caractéristique, l’infrastructure. Cette dernière, constituée de panneaux brevetés pour leur résistance à des variations de température allant de – 80 °C à + 20 °C, semblait heureusement totalement impassible aux assauts répétés des rafales de vent. Tom laissa son regard se perdre sur l’horizon de glace, pensif. Ce paysage était certes magnifique, mais depuis plus de deux ans qu’il avait rejoint le site, les couleurs lui manquaient réellement et l’impact psychologique se faisait à présent de plus en plus ressentir.

Les rescapés français venaient tout juste de se regrouper au centre de la pièce, où avaient été installés des sièges afin de les faire patienter quelques minutes. Au premier regard, tous semblaient en parfait état de santé : aucun signe apparent de malnutrition, ni même de fatigue extrême… La plupart revêtaient des tenues militaires, celles-là mêmes qu’ils avaient à leur disposition dans le bunker où ils avaient trouvé refuge.

La nouvelle avait initialement soulevé une vague d’espoir dans les bases, dont un certain nombre de résidents, à l’image de Tom, vivaient de plus en plus mal leur état de confinement contraint ; mais ce regain d’optimisme avait rapidement été étouffé dans l’œuf lorsque Merrick avait détaillé les raisons de la survie de ces personnes, qui relevait véritablement d’un heureux concours de circonstances. Contrairement à ce qu’espérait Tom, la découverte de survivants n’était aucunement synonyme d’une amélioration de la situation écologique en Europe, bien au contraire. Ces sept miraculés ne semblaient devoir d’être sains et saufs qu’à la chance d’avoir été au bon moment au bon endroit ; en l’occurrence, dans le bunker hypersécurisé de la présidence – celui-là même qui aurait dû, théoriquement, abriter le président de la République, les membres du gouvernement et l’état-major des armées. Pour des raisons demeurées inconnues, les officiels et les politiques n’étaient jamais arrivés à ce bunker. Une partie du personnel en poste sur le site au moment du drame s’y était enfermée lorsqu’il était devenu évident que c’était là leur seule chance d’échapper au chaos, tout en espérant que des secours viendraient les récupérer par la suite… Cette attente allait en réalité se prolonger considérablement et durer pas moins de deux années

Tom le regarda s’éloigner en secouant la tête puis quitta à son tour le centre de contrôle. Il reprit son pod afin de rejoindre la salle où les survivants avaient été débarqués. C’était effectivement à lui qu’incombait, en tant que responsable des installations de la base antarctique, la mission de les accueillir et de les informer quant aux précautions qui allaient être prises à leur encontre. Il devait également leur présenter les examens médicaux qu’ils allaient devoir subir avant de les accompagner vers leurs nouveaux quartiers.

Tom pesta sourdement. Ce n’était pas la première fois que Merrick prenait des libertés avec les mesures de sécurité drastiques qui avaient été mises en place sur la base. Dans le cas présent, il n’avait pas pris la peine de passer par les douches de décontamination pour laver les véhicules avant de les garer dans les zones techniques de déchargement. Or, l’opération n’était pas anodine : elle avait pour objectif d’éliminer les résidus aérosol radioactifs déposés sur les appareils durant l’expédition.

Résilience : aptitude d'une espèce, d'une population ou d'un écosystème à récupérer un fonctionnement ou un développement normal après avoir subi un traumatisme.

— A l’heure où je vous parle, reprit Hammond, une course contre la montre est engagée pour tenter de maîtriser les centaines de centrales nucléaires de la planète et assurer l’arrêt d’urgence et le refroidissement de leurs réacteurs. Et vous savez pourquoi ? Tout simplement parce que les énarques qui nous dirigent n’ont jamais songé un instant que nos ingénieurs et techniciens nucléaires pouvaient, eux aussi, lors d’une pandémie, tomber malades. Ce n’est pas ridicule, ça ?

— C’était le Japon, pas la France. Ces volontaires se savaient kamikazes : ils agissaient par respect et amour de leur patrie. Pas sûr que l’on rencontre autant de volontaires en France…

— Nous avons contacté nos homologues en Ukraine, mais il semble qu’ils aient verrouillé toutes les données relatives à la catastrophe de 1986.

— Nous savons que des études ont été réalisées par le comité permanent de Tchernobyl sous la présidence d’un certain professeur Nesterenko, qui dirigeait l’Institut de radioprotection Belrad, et de Youri Bandajevski, de l’Institut de médecine de Gomel, mais lorsqu’ils ont commencé à établir des relations entre certaines maladies et le césium 137, ils se sont retrouvés au goulag pour cinq ans.