Pour donner une idée de la douleur, de leur souffrance, certaines âmes généreuses n'hésitent pas à déclarer : "Ce que j'ai enduré, je ne le souhaite pas à mon pire ennemi" ! J'aurais pu être de ceux-là, avant. Aujourd'hui, je crois que je m'en fiche complètement. Si mon pire ennemi endure ce que j'ai enduré, ce n'est pas mon affaire, c'est la sienne. Il y a simplement que je ne me connais pas de pire ennemi. A part, peut-être, moi-même. Mais comme j'ai déjà donné...
L'endroit était frais malgré la chaleur de l'été. Il régnait un silence paisible veiné de lointains bruits de moteurs, des paresses d'avions croisant dans un ciel qui restait à imaginer.
C'est le lot des caves de fuir la lumière. Celle-ci avait gardé prisonnière toute la froidure de l'hiver, ses pluies glaciales et ses neiges, ses frimas et ses vents. Ceux qui s'y engouffraient forçant les passages, devenaient bises sitôt franchies les grilles des soupiraux aux vitres brisées. Des radiateurs à pétrole, dont l'amère odeur de fioul imprégnait l'atmosphère, avaient été répartis dans différents recoins pour conjurer autant que faire se pouvait les morsures du froid. Des ampoules électriques nues pendaient au plafond. Des lampes rétro en pied posées à même le sol ou sur des meubles hétéroclites de brocante, proposaient un éclairage scénographique à la limite de l'étrange.
La poésie, c'est de la survérité !
J'ai foncé sur mon ordinateur et j'ai écrit à Lucie. Les mots s'alignaient, sans heurt, les uns après les autres. Une source jaillissait qui semblait avoir trouvé son fleuve.
II leur était indifférent de chercher à élucider le mystère de leurs voyages extraordinaires. Le jardin, l'école, le mûrier, le ciel, l'étoile, la musique, ils en faisaient leur miel. Ils avaient vécu leur rêve, rêvé leur désir, et leurs chairs comblées frissonnaient encore de leurs jouissances partagées.
Au-dessus d'eux, chevauchant une ultime gazelle, Marie-Jeanne s'évapora dans les limbes de leur mémoire réincarnée.
Et le ciel s'éteignit.
Les hommes font la guerre, certains font l'amour, les enfants rient ou pleurent, ici, on naît, là, on meurt, ailleurs et partout, on mange, on boit, on crie, on rêve, on crève, on espère, on pleure, on se désespère, on apprend, on oublie, on jubile, on attend… La planète est belle vue d'en haut, presque irréelle. Devant tant de beauté, on n'imagine pas le malheur. On ne le voit pas. Et parce qu’on ne le voit pas, il n’existe pas.
Te souviens-tu ?
Oui, trente ans, c'est long, c'est loin. Tu m'avais emportée dans ta détermination farouche. Nous nous étions affranchis nos heures terriennes amarrées à l'uniformité des jours. Nous avions franchi les frontières du temps, l'un à l'autre enlacés.
Passagers de l'instant, nous voulions l'éternité.
Oui, je me souviens…