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Citation de Danieljean


Au mois de mai 1995 a eu lieu, à Berlin, ma rencontre avec deux anges. Le premier s'appelle Maria Elena Cruz Varela, dont j'avais découvert le livre de poèmes El Ángel agotado [L'Ange épuisé] et dont je fis alors la connaissance. La seconde rencontre fut celle de mon ange majeur, l'ange «terrible», comme l'écrivit Rainer Maria Rilke, l'ange bleu, Marlene Dietrich. Ou plutôt de ses souvenirs.

Enfant, j'avais vu un ou deux films de Marlene Dietrich, lors d'une émission sur la 2e chaîne de la télévision cubaine, qui passait d'abord à midi, puis à cinq heures de l'après-midi, avant de disparaître au bout de quelques années. Cette émission s'intitulait Ciné del hogar [Au cinéma chez vous] et l'on pouvait y voir presque tous les vieux films en noir et blanc - toujours en noir et blanc - du cinéma américain, et je dis toujours parce que, même s'ils étaient en couleur, comme il s'agissait de copies volées à l'industrie dans le but de contourner le boycott commercial yankee, on ne pouvait les voir qu'en noir et blanc. Ces deux films furent L Ange bleu (Der Blaue Engel, 1930) de Josef von Sternberg et Coeurs brûlés (Morocco, 1930), du même metteur en scène, avec Gary Cooper.

Grâce au Cinéma chez vous er à l'émission Histoire du cinéma ensuite, j'ai connu les grands des années trente, quarante et cinquante. J'ai vu, en outre, du très bon cinéma mexicain et argentin de ces décennies ; mais, pour être sincère, j'ai vu aussi pas mal de navets. Et aussitôt les visages de la cinématographie latino-américaine de ces années-là, ses acteurs principaux, me sont devenus peu à peu familiers : Carlos Gardel, Hugo del Carril, Libertad Lamarque, Silvia Pinal, Mirtha Legrand et Maria Félix, qui était la «jolie môme» par excellence et la Grande Dame du cinéma latino-américain. A vrai dire, moi, je ne trouvais rien de particulier à Maria Félix, quoique je ne sois pas assez experte pour juger de la beauté féminine d'alors. Je sais qu'elle fut une actrice du tonnerre, un top de ces années-là.

Dans cette même émission on passait aussi des petits films «alimentaires», bien que géniaux, de Luis Buñuel... Mais en ce temps-là je n'étais qu'une gamine, une enfant qui n'avait même pas idée de qui était tel ou tel acteur ou actrice ; et n'avais même pas de téléviseur. Le cinéma cubain de cette époque souffrait du fléau de la censure castriste, de sorte que personne ne connaissait Ninon Sevilla, par exemple, parmi d'autres grandes figures du cinéma cubain d'avant la Robolution - pardon, la Révolution.

J'accompagnais ma grand-mère chez ses vieilles amies regarder des films d'autrefois ; d'après elles, ces films-là en valaient la peine. Ma grand-mère pleurait, me montrait un gros plan de Marlene et me disait : «La meilleure, la meilleure; personne comme elle». Et je pleurnichais seulement de voir pleurer ma grand-mère, parce que, pour comble, sans même savoir quelle en était la cause, ces grands yeux de Marlene me donnaient une terrible envie de beugler lamentablement. Ce regard en gros plan, en noir et blanc, me soulevait de tristesse ; sans savoir pourquoi il provoquait chez moi une inexplicable souffrance - je parlerais aujourd'hui de kitsch - ou une mélancolie, mot plus approprié s'agissant de Marlene, qui me durait des jours, voire des semaines.
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