L'actualité du mois de février - L'Esprit des Lettres
A contrario, pour Alberto Hurtado, l'injustice est le symptôme d'une perte de sensibilité qui affecte le corps social.L'encombrement des richesses réduit considérablement le champ de vision, il rend "aveugle pour le surnaturel" parce qu'il provoque la concentration du souci sur ce qui est à posséder et à défendre ; et ce faisant, sans même en avoir conscience, il écarte les pauvres et rend sourd à leurs appels.
S'exprime ici pleinement un trait important de la personnalité d'Ignace, lié à son origine sociale, mais qu'il transmettra à l'ordre qu'il fonde : la conscience forte d'une responsabilité en ce qui concerne les affaires de la cité. C'est cela qui peut expliquer, il me semble, la proximité qu'on a souvent relevée entre les jésuites et le pouvoir. La posture adoptée par Ignace dans l'épisode qu'on vient de commenter est cependant sans ambiguïté : le pouvoir n'est pas cherché pour lui-même, mais on s'adresse aux personnes en responsabilité afin que des transformations soient apportées aux normes régissant la vie ensemble et que toute une société soit incitée à s'accorder au don de Dieu.
" La prédication évangélique s'adresse à tous sans exclusive. Mais pouvoir s'adresser à tous efficacement suppose, au moins à cette époque, de se concilier les grands, , de les convertir pour les amener à faire leur travail : utiliser leur pouvoir pour le bien commun et donc, d'abord, pour ceux qui sont menacés d'en être exclus, les pauvres gens.
A. Demoustier, "Les premiers jésuites et les pauvres".
Loin de se caractériser par un système autoritaire vertical descendant, le fonctionnement de la Compagnie tient à la rencontre entre un mouvement qui vient de la base (expression du désir de suivre le Christ, tel qu'il se redéploie au contact des réalités du terrain) et des impulsions qui viennent d'en haut ( en fonction des besoins pressentis et d'une connaissance des acteurs susceptibles d'y répondre). Le secret du dynamisme de la Compagnie et de sa créativité au cours des siècles tient, nous le croyons, à cette conjonction. Et, encore une fois cette rencontre est possible du fait d'une confiance mutuelle, qui elle même repose entièrement sur la foi en Dieu.
Comme on l'avait vu au moment d'évoquer les premiers compagnons, la pauvreté est pour eux le moyen de s'en remettre entièrement à Dieu.
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Mais la modestie des moyens pour vivre ouvre à une autre expérience, vécue également par Ignace et ses compagnons : elle donne l'occasion de rejoindre ceux qui sont confrontés, sans l'avoir choisie, à la grande précarité.
À partir de la 32è Congrégation générale (1974), les jésuites ont en effet redéfini leur mission en associant étroitement service de la foi et promotion de la justice. Thème qui a été repris, complété, précisé par les congrégations générales suivantes, et jamais démenti. S'agit-il d'une nouveauté ? D'un retour aux sources ? D'une explication de ce qui était là en germe dans la tradition ignatienne ?
le prochain, le pauvre spécialement, c'est le Christ en personne.
c'est dans la fréquentation des sans-parole que les jésuites apprennent à parler de Dieu de manière juste.
Les pauvres sont des maîtres à servir, disait Vincent de Paul. "Des maîtres qui nous enseignent" ajoute le père Joseph; davantage même: des maîtres à penser autrement la société, en nous laissant reconstruire, réinstruire, par une autre référence. Ce qui n'est pas simple, nous avertit-il, pour "les instruits [qui] se laissent emporter par leurs propres idées [et] finissent toujours par penser à la place des autres".