Évelyne Néron Morgat - Femme de coquilles
Luc se lança dans la grande histoire de ce coquillage....
Il lui raconta que les hommes préhistoriques en mangeaient déjà et que dans certaines civilisations, les hommes les avaient utilisées de façons très curieuses. Les hauts citoyens des grandes cités grecques de l'Antiquité se servaient des coquilles pour voter quand ils devaient décider de bannir un habitant ou de déclarer la guerre à une autre cité. Les Grecs savaient confire dans les huîtres dans du miel . ... Les Romains avaient été les premiers, sans doute avec les Chinois à l’autre bout de la terre, à les élever.
...recette romaine à base d'huîtres. Ils prenaient des grands pots en terre, comme des amphores, et ils mettaient un lit de sel, puis des couches de morceaux de poissons, huîtres détachées de leurs coquilles, différents aromates et ils terminaient par des intestins de poissons, lavés et choisis avec beaucoup de soins.
Ils laissaient mariner tout ça parfois pendant plus d'un an, et après décomposition ils consommaient à la fois le liquide qui s'en écoulait et la pâte qui restait.
Ils appelaient çà le garum. C'était à l'époque un condiment de luxe très recherché. Dans toutes les grandes cités romaine, il y avait la Maison du Garum.
« Votre fille est en bonne santé. » Ces mots résonnèrent douloureusement dans son cerveau totalement déconnecté de la réalité. La réalité. Quelle réalité ? Errant dans un état second, il se sentait abruti et incapable de discerner la moindre certitude au milieu de ce cauchemar que les minutes ancraient inéluctablement dans une vérité insupportable. Figé, les yeux dans le vague, il ne parvenait pas à reprendre pied. Posant les mains à plat sur la vitre, il y appuya son front brûlant, ferma les paupières quelques instants et prit une grande inspiration. Des bébés pleuraient. Dans le ventre de la maternité, leurs cris stridents n’avaient pourtant rien d’humain. L’atmosphère, qui tenait l’immeuble prisonnier hors du temps, l’asphyxiait. Aucun autre bruit, aucune sensation, il était le seul être vivant entre ces murs face à cette assemblée braillarde. Engourdi, il avait le sentiment d’être étranger au drame qui se profilait et dont il n’était pas encore tout à fait sûr.
La pêche à la sardine démarra et elle permit d’alimenter plus régulièrement le reste de l’île. Mais ce mur de pierres était bien dérisoire face à la puissance inouïe de l’océan qui régulièrement le démontait. Inlassablement, les hommes recommençaient et réparaient à la sueur du front cet ouvrage ridicule. Si l’État n’était pas intervenu pour financer la reconstruction d’une digue bien plus solide et deux fois plus longue, les habitants de la Cotinière auraient sûrement jeté l’éponge, lassés par ce combat perdu d’avance.
Le bonheur de la venue au monde d’un enfant avait laissé place à la laideur insupportable du deuil, plongeant les habitants du village dans une profonde tristesse teintée de souvenirs et de regrets.