La vitesse n'a jamais été un besoin naturel de l'homme : elle est un désir récent, insuflé par le développement rapide des moyens de transports collectifs et individuels, accompagné par des politiques publiques volontaristes.
Günters Anders écrivait en 1956 qu'il était "concevable que la transformation des instruments soit trop rapide (...) ; que les produits nous demandent quelque chose d'excessif, quelque chose d'impossible ; et que nous nous enfoncions (...) dans un état de pathologie collective". Il semble que le philosophe avait raison : face au temps surhumain et "parfait" des machines, nous ressentons une honte, un "décalage prométhéen", incapables que nous sommes pour l'instant d'ouvrir les yeux sur la catastrophe à l’œuvre et d'élargir notre horizon temporel.
Dans cet ouvrage, Jérôme Baschet décrit de manière lumineuse l'évolution de notre rapport au temps jusqu'au régime présentiste, et la tyrannie qu'il impose sur nos vies. Mais l'historien n'entend pas nous laisser désarmés. En s'appuyant sur l'expérience zappatiste au Mexique, il s'attelle à faire surgir des régimes d'historicité concurrents du présentisme qui évitent les écueils du "régime romantique", tout entier tournée vers une idéalisation du passé. Notre lutte sera désormais de mettre au monde un "futur-espérance animé par le désir d'une vie bonne pour toutes et tous".
Il y a vingt ans déjà Nicole Aubert avait identifié tous les rouages de l'urgentisme contemporain, avant même que la révolution numérique n'ait déployé pleinement ses effet sur la société. Plus encore que la mutation de notre rapport au temps, la sociologue et psychologue s'intéresse aux effets concrets dans nos vies de l'injonction à la vitesse et à l'émergence d'un "nouveau type d'individu, flexible, pressé, centré sur l'immédiat, le court terme et l'instant, un individu à l'identité incertaine et fragile".
Dans Horizon inverse, Bernard Aspe avait posé ce constat : "La réussite du capital ne tient pas à l'atomisation des individus, mais à ceci qu'il réussit chaque jour, pour chacun, à transformer le "temps presse" à "je n'ai pas le temps"." Dans les Fibres du temps, le philosophe poursuit ses réflexions autour de l'idée que le temps, c'est d'abord ce qui se partage : ce qui s'expérimente comme un temps commun, enjeu central de la politique. En face, le monde du capital tente, sinon de le détruire, du moins de le mutiler suffisamment pour le soumettre à sa propre temporalité.
Désignant l’invention de l'horloge et le partage des heures en minutes comme le point de départ de l'ère de la machine, Lewis Mumford déroule dans Technique et civilisation les trois phase - éotechnique, paléotechnique et néotechnique - d'une immense fresque historique où se nouent techniques et civilisation. Tour à tour outil vertu et agent de l'aliénation et de la destruction des hommes, la machine est mise à nue par l'auteur du Mythe de la machine et de la Cité à travers l'histoire : certainement pas neutre, bonne et mauvaise à la fois.