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Critique de LaBiblidOnee


Avez-vous entendu cette info effrayante ? « La masse mondiale produite par l'homme dépasse toute la biomasse vivante ». Autrement dit, notre planète est actuellement plus artificielle que naturelle ! le cauchemar contre lequel luttait Edward Abbey est devenu réalité : le gang semble avoir échoué mais malheureusement, son histoire est plus que jamais d'actualité.


« Presque partout le paysage était dépourvu de routes, inhabité, désert. Ils avaient envie qu'il restât ainsi. Ils feraient tout pour cela. Pour le garder tel quel. »


Après son sublime Désert Solitaire, où il nous mène au coeur des canyons que l'Homme est en train de détruire, Edward Abbey poursuit son raisonnement en créant les personnages du Gang de la clé à molette. Comme leur auteur, ils constatent que « le progrès » et « la civilisation » détruisent une nature sans qui nous ne pourrons pas survivre. Et qui s'en soucie ? Eux : Un riche chirurgien et son assistante très maternelle, qu'il demande régulièrement en mariage ; un ancien militaire revenant du Vietnam, en foutu bordel de révolte perpétuelle contre tout ce qui l'entoure, et plus que prêt à en découdre ; ainsi qu'un mormon marié trois fois (en même temps). Lors d'une randonnée en canoë, sur les eaux d'un fleuve bientôt bétonné, ces univers se rencontrent et rêvent à de grands projets, comme la destruction de cet immonde barrage qui tue le fleuve Colorado... Autour d'un feu de camps, ils scellent alors une amitié intéressée.


« - - Extension de la leucémie aigüe, cancer du poumon... Je pense que le mal est dans le la nourriture, dans le bruit, dans la surpopulation, dans le stress, dans l'eau, dans l'air. j'en ai trop vu Seldom. Et ça ne peut qu'empirer si nous les laissons mener à bien leurs plans. C'est pour cela.
- - Pour cela que vous êtes ici ?
- Très précisément. »


Seulement faire exploser un ouvrage appartenant à l'Etat est un crime, tout comme les éventuelles victimes collatérales humaines. Il faut se faire la main sur quelque chose qui, plutôt que détruire, empêcherait de construire : S'attaquer aux chantiers alentours. Saboter les bulldozers, ralentir l'avancement ; à force de persévérance, décourager les ouvriers, les employeurs, les financiers derrière tout cela ! Ce ne sont pas des délits très graves, juste une désobéissance civile chère à Henri David Thoreau, nécessaire à montrer leur désaccord et sauvegarder de vrais intérêts. Mais n'y a-t-il pas toujours des victimes collatérales ? Et ne se laisse-t-on pas entrainer par notre élan ? Où sont les limites à ne pas franchir, et qui les déterminent ? « Aucune violence à l'égard des êtres humains », ne cesse de répéter Doc, tout en dévissant des boulons, déversant du sucre dans les réservoirs, et coupant les câbles des monstres de fer… « l'anarchie n'est pas la solution », ajoute-t-il tandis qu'une canette de bière vide et froissée gicle de la main du militaire poilu pour se nicher dans un recoin de nature qu'il prétend protéger.


« Nous luttons contre une machine folle, Seldom, une machine qui mutile les montagnes et dévore les humains. Quelqu'un doit essayer de la stopper. Ce quelqu'un, c'est nous. »


Quelle joie de retrouver la plume de Désert Solitaire, avec ses descriptions improbables telle la mécanique comparée au sexe ! Ironique envers la société, cette plume demeure bienveillante envers ces personnages imparfaits, qu'elle raille gentiment. Edward Abbey y a probablement projeté beaucoup de lui-même, puisqu'il nous laissait déjà percevoir quelques idées de sabotages dans sa propre épopée désertique. Peut-être même que chaque membre du gang constitue une facette de sa propre conscience qui argumente pour ses idées, en éprouve les limites à la réaction des autres - tels les petits anges et démons s'affrontant et se répondant souvent en nous. Ainsi, en plus de nous offrir l'aventure du sabotage et la traque qui en découle, Edward Abbey amène une réflexion sur nos décisions de citoyen. La version romanesque de la désobéissance civile de son ami Thoreau. Une histoire qui monte en puissance au fil des présentations, de la rencontre, du débat d'idée, du passage aux premiers actes timides, de la confiance qui s'installe, du durcissement des actions, des risques… Et des réactions de leurs poursuivants excédés. Jusqu'à cette putain de bordel de fin, comme dirait George le Poilu (et il l'est, j'le sais parce que toute sa splendeur virile nous est maintes fois décrite, dans tous ses états).


C'est toutefois un roman qui se mérite un peu, parce que nous devons tantôt cavaler, tantôt patienter avec nos héros. Nous devons faire l'effort d'imaginer un paysage que nous ne connaissons pas, décrit en détail. Pire, on nous fait miroiter un truc énorme dans les premières pages, qu'on attend durant tout le roman… et qui ne vient pas… Enfin, pas encore, mais heureusement il existe une suite : le Retour du gang ! Malgré tout, on s'attache à ces hors la loi, on vit avec eux, on s'adapte à ce style dense mais inimitable, entre un Thoreau et du Thomson ; on en redemande. Ma souris refuse de cliquer sur moins de 4,5 étoiles pour ce presque coup de coeur, subversif à souhait, qui incite à défier la loi alors que je prône son respect pour vivre ensemble. Un joli tout, bourré d'humour, de complicité, d'action, de réflexions. Épique, épique écolo-gramme, les amis !


« Le désert nu est un sale lieu pour les petit secrets ».
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