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Critique de michfred


Appelle moi par ton nom est un étrange titre..
Appelle moi par ton nom est un  beau film...
Appelle moi par ton nom est un livre raffiné et bouleversant..

Proustien, par son sujet -un premier amour, sensuel et fort, qui est aussi une découverte par le narrateur, de son homosexualité -.

Proustien par son sens minutieux et pénétrant de l'analyse : Elio,  à l' âge mûr, se penche sur son passé,  à la recherche d'une page inoubliable de son adolescence, avec toute la perspicacité de l'homme qui a vécu, et plein de tendresse pour ce jeune lui-même , fougueux et  intrépide, qu'il fut alors.

Comme chez Proust, le récit se deroule par résurgences successives de souvenirs, amenés par une lumière, une odeur, une réminiscence littéraire, un geste, un mot qui ouvrent les portes du temps retrouvé. 

 D'où une structure musicale: la trame,  pas vraiment  linéaire et résolument rétrospective,  fait des boucles, des retours en arrière , des sauts en avant qui intriguent, puis se clarifient, émaillent le récit de leurs signes,  comme les clochers de Martinville dansant dans la campagne normande...

Ils  vous enlacent, vous prennent subtilement dans leurs filets..comme chez Proust, mon addictif Proust.

Pour le temps et le lieu du récit,  on est dans la parenthèse lumineuse d'un été italien, un été unique, où  Elio, le jeune narrateur de dix sept ans - avatar transparent d'André Aciman lui-même-  rencontre un homme jeune, de sept ans son aîné,   déjà professeur de philosophie dans une brillante université américaine et ancien élève de son père.

 Il en tombe presque aussitôt amoureux.

Il s'appelle Oliver, il est blond, charmant,  brillant et ses  "À plus!" qui semblent si détachés , si  désinvoltes , intriguent  et piquent au vif le jeune Elio, stimulant, comme Albertine pour le Narrateur, son désir de séduire cet "être de fuite "...

On est dans une famille unie, ouverte, chaleureuse, accueillante, dans les annees 80, où l'on se parle, se comprend à demi-mots, et où la liberté,  la confiance et le respect de l'intimité sont de mises.

Une famille de juifs  non pratiquants mais attachés à leur judéité,  de juifs "discrets" comme dit le père d'Elio -  Oliver, lui, l'est moins, qui porte assez ostensiblement une étoile de David- une famille cultivée, polyglotte :   le père d'Elio, éminent professeur de lettres,  est un grand intellectuel, helléniste et latiniste chevronné, sa mère, italienne et mélomane,  possède cette grande maison où toute la famille vient passer , rituellement, les deux mois d'été. Et rituellement on y accueille un étudiant.  Un côté de Guermantes intello et ligurien..

Et puis il y a les lieux, enchanteurs: on aimerait avoir l'adresse de ce village-là pour y filer, en vélo et en douce, par une belle journee d'été - c'est sûrement une "contaminatio" de plusieurs lieux, j'ai cherché mais Aciman brouille savamment les pistes!-:  Shelley s'y est noyé, Monet y a peint sur un tertre enfoui dans la verdure, la mer en est proche, des fouilles aussi...et Rome n'en est  pas si loin puisque les deux amants y passent trois jours fiévreux et fous, avant de se quitter pour de longues années.

Les personnages principaux,  Elio et Oliver, sont d'une vérité et d'une profondeur incroyables,  et échappent à tous les clichés d'une gay story!

Faux désinvolte et vrai timide, Oliver est plein de délicatesse et tente d'abord de garder avec Elio une certaine distance. Elio est un solitaire, un sensible et un audacieux, un timide lui aussi. Quelle précocité dans l'analyse de son tumulte sentimental, quelle justesse dans ses intuitions!
Les silhouettes des personnages de second plan  ne sont jamais décoratives, mais toujours sensibles, émouvantes, justes: ainsi, le couple d'Italiens qui servent la famille- surtout Mafalda, la "Françoise "ďu livre, si perspicace et attentive aux intermittences du coeur de son Elio!- ou encore le vieux jardinier répondant à  l'antique prénom d'Anchise , ou Marzia ou Chiara, jeunes filles en fleurs, et surtout trois personnages si peu secondaires qu'ils émeuvent autant que les deux  protagonistes: le père, magnifique de pudeur et de tact avec ce fils tout chamboulé, la mère, vive et enjouée,  et Vimini,  la petite voisine leucémique de dix ans, amoureuse du bel Oliver comme seules peuvent l'être les petites filles qui savent qu'elles n'auront  jamais le temps de devenir des femmes.
 
J'ai été conquise par tant de finesse, par des qualités d'écriture rares - servies par une remarquable traduction.  Appelle-moi par ton nom est un roman où l'auteur a sûrement mis une grande part de lui-même, un roman  plein de sensualité heureuse, jamais coupable,  et délicieusement bouleversant comme l'est, pour la vie entière, un premier amour.

La fin est à l'image du souvenir lui-même : pudique, émouvante.

Les larmes qu'elle fait couler sont comme une libation, un rituel purificateur, une prise de congé. 

J'ai eu beaucoup de mal à m'arracher à ce livre-là. 
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