Diplômée en histoire de l'art et en archéologie,
Noémie Adenis met certainement beaucoup de son expertise et de ses connaissances dans la reconstitution du Paris de 1673 : chercheuse par formation, on devine à travers son écriture les longues heures d'étude et de prospection préalables. Mais l'approche scientifique n'est pas suffisante pour faire un bon roman historique : à cela s'ajoute la patte nécessaire pour donner forme à la masse de documentation. L'autrice s'en tire avec brio : Paris, probablement le premier personnage de cette histoire, s'impose aux autres protagonistes et au lecteur à travers les sens : lumière, ombre, odeurs... un tableau en trois dimensions qui n'est pas sans rappeler la capitale racontée par
Patrick Süskind dans "
Le Parfum".
C'est également dans le terreau fertile de la réalité historique que la romancière a puisé son sujet principal, ou du moins son contexte : les premières leçons de chirurgie données en public au Jardin du Roi, actuel jardin des plantes. Comme elle l'explique dans sa postface, les tensions entre médecins et chirurgiens racontées en toile de fond sont tout à fait véridiques, de même que les figures d'
Antoine Daquin, Denis Dodart ou encore Pierre Dionis.
Noémie Adenis pioche par ailleurs dans l'ouvrage de ce dernier, "Cours d'opérations de chirurgie" les explications et les planches qui rythment et illustrent l'avancée progressive de l'histoire, mais aussi ses meurtres. Avouons que le concept est séduisant et qu'il fonctionne : des assassinats en série inspirés par les leçons de chirurgie publiques, le tout dans un contexte de querelle scientifique entre les Anciens et les Modernes, il fallait y songer. A chaque cours suivra nécessairement un crime, alternance macabre qui fait rapidement de ce roman un page turner efficace.
Cependant, il est bien sûr connu que le suspect trop évident n'est jamais l'assassin. En cela, l'autrice maîtrise peut-être moins la subtilité de rigueur que l'atmosphère et le contexte historique, insistant beaucoup trop souvent sur la culpabilité présumée de l'un des personnages. le lecteur habitué aux codes du polar aura compris depuis longtemps qu'il faut chercher la solution ailleurs, bien que l'absence d'indices ne permette pas d'échafauder une autre hypothèse viable. On reste ainsi dans un certain inconfort : l''intrigue, l'enquête et les soupçons tournent beaucoup trop autour de ce suspect qui, fatalement, n'en est plus un depuis longtemps, mais il est impossible pour le lecteur de porter ses doutes sur un autre personnage. le roman fait ainsi du sur-place pendant de nombreux chapitres avant qu'une phrase, dans le dernier tiers du livre, vienne relancer la machine à théories. On a craint l'espace d'un instant une révélation finale trop facile mais, fort heureusement, l'autrice parvient à se rattraper. Même pour ceux qui, comme nous, devineront qui se cache derrière ces crimes aussi sanglants que barbares,
Noémie Adenis réserve encore quelques surprises pour la fin, et la conclusion du "Jardin des anatomistes" apporte avec elle son lot de révélations insoupçonnées.
Pour autant, il reste encore un (gros) détail qui ne nous a pas tout-à-fait convaincu : le personnage principal. Si le concept d'un héros à contre-emploi a tout de prometteur sur le papier (Sébastien de Noilat est un jeune homme anxieux, timide, et à la limite de l'agoraphobie), il est tellement en décalage avec l'univers dans lequel il se trouve malgré lui impliqué que son statut d'enquêteur amateur en perd toute crédibilité. Pour justifier qu'il poursuive ses investigations en dépit de son malaise et de ses phobies, l'autrice l'affuble d'une obstination que lui-même ne comprend pas et d'un personnage de commissaire charismatique (celui-là a le mérite d'être réussi, rabelaisien à souhait) qui le contraint à fureter à sa place. Effrayé et comme perpétuellement au bord de l'évanouissement, Sébastien, bien qu'attachant en tant que personnage, ne parvient pas à nous faire croire à son rôle de détective.
En bref : Un polar historique qui fonctionne grâce à sa reconstitution minutieuse du Paris mouvementé, sale et bruyant du XVIIème siècle et à la mise en scène du milieu émergent de la chirurgie dans un contexte scientifique houleux. L'idée du criminel qui reproduit les leçons publiques données à l'amphithéâtre d'anatomie est séduisante et participe à faire du "Jardin des anatomistes" un très bon page turner malgré les quelques défauts du roman. On regrette en effet que l'intrigue piétine trop souvent ainsi qu'un personnage principal beaucoup trop en décalage pour être crédible en tant qu'enquêteur.
Un grand merci aux éditions Robert Laffont et à Babelio pour cette lecture.
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