Citations sur Au vent mauvais (62)
Leïla murmura :
- C’est la démocratie. On ne peut rien faire.
- Non, maman, ce n’est pas la démocratie. Les islamistes ont très clairement annoncé la couleur : ils veulent prendre le pouvoir par les urnes puis modifier la constitution pour supprimer les urnes.
- Ce que vous permet l’art, c’est d’avoir le sentiment d’être à la fois éternel et mortel, c’est quelque chose d’effrayant et de douloureux mais aussi un sentiment extraordinaire. Admirer une œuvre, c’est repousser la mort, c’est permettre à la vie de gagner.
Ils s’installèrent dans la caserne Denfert, rue Satory. Huit cents Nord-Africains et Sénégalais logeaient déjà dans ce bâtiment en piteux état où les vitres des fenêtres étaient brisées, les murs crasseux, les douches condamnées et où il n’y avait qu’un seul robinet d’eau courante pour la toilette de l’ensemble des hommes.
(page 46)
Les gens pensent que quand on a fait la guerre et qu’on a survécu, c’est terminé. Moi, j’ai fait deux fois la guerre, deux fois je suis rentré chez moi mais je suis plein de poussière et je n’arrive pas à m’en débarrasser. Elle est entrée ²dans ma tête et dans mon cœur. C’est le vent mauvais qui l’apporte, cette fichue poussière qui jamais ne me lâche.
C’est donc ça être écrivain ? Couper, monter, imaginer des souvenirs ? Prendre les albums photos et fouiller dedans ? Créer une histoire à partir de petits bouts ? Changer les dates, mélanger les événements ? Créer à partir de rien ?
(page 187)
Nous tairons les cauchemars et ferons mine d’ignorer que lorsque le pays tout entier a basculé dans l’horreur, nos yeux, comme ceux de nos parents et de nos grands-parents avant nous, ont changé, car c’est bien ce que vous font les guerres, elles vous altèrent et vous abîment définitivement. Elles s’enchaînent à vos pieds et vous les traînez toute votre vie. Elles vous épouvantent et vous condamnent à vivre en marge des autres. Elles vous forcent à cohabiter, à cheminer avec des démons.
Un soldat tunisien qui marchait en traînant la jambe depuis qu’il avait pris une balle dans la cuisse en Italie alluma une cigarette et inhala la fumée. Il sourit d’un petit sourire froid et murmura en arabe :
- Ce n’est pas parce qu’on a combattu pour la France et qu’on porte un uniforme français qu’on n’est pas des étrangers, hein ? Ah, les gens sont mauvais partout, c’est moi qui vous le dis !
Ce ne fut que plusieurs jours plus tard qu'il se vit pour la première fois dans sa tenue militaire. Il aperçut son reflet dans un miroir, le visage buriné par le soleil et le vent, l'uniforme légèrement trop petit pour sa grande stature mais qui semblait pourtant trop grand à Tarek. Son regard fiévreux surtout le troubla. Comme si ses yeux avaient su avant lui que tout cela était grave, comme si ses yeux avaient compris la réalité avant même que Tarek, lui, l'ait admise. Il se répéta toute la nuit qu'il ne laisserait ni l'uniforme ni la colère des autres le changer. Il était Tarek d'El Zahra, il n'était pas un soldat.
Tarek se demanda de nouveau, car cela l’avait toujours intrigué, comment un couple aussi grossier avait pu mettre au monde une fille aussi belle, gracieuse, et lumineuse.
(page 34)
Une fille vous met face à vos contradictions, contrairement à une épouse qui veut bien feindre de ne pas les voir. Une fille ne vous pardonne rien, n’accepte aucune faiblesse de la part d’un père, n’est jamais compréhensive.
(pages 257-258)