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Critique de Sofiert


Situé à Ciudad Juarez, ville frontière entre le Mexique et les Etats-Unis et capitale des feminicides, la décharge à ciel ouvert est un lieu de vie et de travail pour des dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants.
C'est autour d'elle, autour de cette poubelle, que Sylvia Aguilar Zéleny tisse une trame dramatique qui va faire coïncider le destin de trois femmes.
Alicia, une jeune adolescente abandonnée par sa mère adoptive et son beau-père incestueux, s'est installée là pour survivre . Elle y trouve de quoi se nourrir et récupère du métal pour un chef de maffia locale. Auprès d'elle, des chiens qui meurent les uns après les autres, empoisonnés ou écrasés, et qu'elle ne prend plus la peine de nommer. "Les chiens sans nom sont ma seule famille." dit-elle.
Perdue sur la décharge par une femme qui n'assume pas sa démission , comme le petit Poucet dans la forêt, elle trouve refuge dans les livres et tout spécialement dans "Alice au pays des merveilles" qui lui permet d'espérer un monde meilleur de l'autre côté du tunnel.

Griselda, une femme médecin d'El Paso, de l'autre côté du Rio Grande, au Texas, mène des travaux de recherche visant à mieux comprendre les « enjeux de santé publique et environnementaux ». Après avoir accompagné des prostituées, plus spécifiquement transgenres , elle entraîne son équipe sur la décharge et rencontre ceux qui y vivent.
"Pour moi la poubelle c'est comme de l'argent. Ca me dégoute même plus, vous voyez, je viens même avec mes enfants quand ils n'ont pas école, parce qu'ensemble on ramasse plus de trucs. Tout ce que vous voyez, ce n'est pas de la poubelle, c'est de la nourriture, c'est une maison, c'est des vêtements, c'est des meubles, c'est la vie. La misère est galopante, mais ici on peut s'en sortir. "
Les paroles de cette femme qui vit de la décharge sont terrifiantes lorsque l'on mesure le degré de désespoir qui peut rendre enviable l'acquisition des déchets dont plus personne ne veut.

La troisième femme est Reyna, une prostituée vieillissante née homme sous le nom de Raymundo, qui veille sur une petite bande de transgenres . Elle a rencontré Gris et se confie à Alicia dans un monologue truculent. On devine grâce à une écriture hachée qu'elle débite ses mots à toute vitesse et en toute spontanéité mélangeant expressions argotiques et blagues grivoises. Elle pratique une langue orale faite de dialogues constants avec des interlocuteurs réels ou imaginaires que le lecteur n'entend jamais s'exprimer mais qui lui permet d'avoir une représentation plus précise de l'environnement.

Ainsi se succèdent les monologues des trois femmes et se tisse progressivement une trame dramatique. Car des liens insoupçonnés les unissent, liens que seul le lecteur pourra découvrir.
Pas de deus ex machina, pas de mélodrame : le secret n'est jamais dévoilé aux principales intéressées, juste soumis à l'intuition du lecteur.
Dans cette complicité avec l'auteure, on pourrait presque oublier la peinture sans concession d'une réalité sordide. le danger reste en toile de fond, le bruit des fusillades résonne derrière les fenêtres et la peur des représailles se fait moins anxiogène lorsque l'on est bien entourée. Pourtant les menaces sont réelles et pour les éloigner, solidarité et sororite semblent la solution : pour Alicia auprès des prostituées et pour Gris auprès de sa soeur.

Avec une généreuse touche d'empathie, Sylvia Aguilar Zéleny réussit trois beaux portraits de femmes. Mais, sans la moindre complaisance et sans misérabilisme, elle nous interroge sur cette société dans laquelle une partie de la population est contrainte de vivre des déchets de l'autre partie.
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