AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Woland


Hina, Kaika no satsujin, Kaika no otto, Yôba, Aki
Traduction & avant-propose : Elisabeth Suetsugu

ISBN : 9782809703979

Cinq nouvelles, dont la plus longue, "La Magicienne", donne son titre au recueil, et qui datent toutes de la fin de la vie de leur auteur. Mentionnons au passage que "La Magicienne" justement est l'une des très rares nouvelles d'Akutagawa qui fasse appel à un thème carrément fantastique, l'invocation des dieux par un médium utilisé contre son gré.

Les nouvelles d'Akutagawa, ça se savoure, ça se relit aussi. Avec Tanizaki mais en utilisant moins de thèmes axés sur le sexe, le fétichisme et le sadisme, il demeure l'un des maîtres du genre au Japon. Par conséquent, ne vous contentez pas de "Rashômon", immortalisé à l'écran par Kurosawa qui, dans sa partie, était aussi un génie. Ces cinq nouvelles en particulier montrent la perplexité et la nostalgie d'Akutagawa face à la modernisation - qu'il sait nécessaire - de son pays mais dont il n'ignore pas non plus qu'elle risque de faire périr bien des traditions.

Comme, par exemple, celle des Poupées que l'on exhibe pour la Fête des Filles et qui est le sujet de la première nouvelle. Ces poupées, grandeur nature et représentant traditionnellement l'Empereur, l'Impératrice, quelques courtisans dans un décor splendide, s'apprêtent, au tout début du XXème siècle, à être vendues à un Américain afin de permettre à la famille de remonter un peu la pente sur le plan financier. L'histoire nous est contée, avec une infinie poésie, par la fille du vendeur, devenue adulte et la fin, l'image de cette petite fille occidentale qu'elle a vue un jour jouer avec les têtes de poupées dépareillées, est singulièrement émouvante et tragique.

L'amour assassine ou répudie, selon que vous lisez ensuite "Un Crime Moderne" ou "Un Mari Moderne." Les deux récits sont déchirants, de façon cynique et sanglante pour le premier, plus tendre et infiniment plus mélancolique dans le second. Dans le premier, on peut dire que le Japon traditionnel triomphe mais le "Mari Moderne", membre d'ailleurs de l'aristocratie samouraï, lui, a plutôt le comportement d'un vaincu.

"La Magicienne" est un authentique récit fantastique comme seuls les Japonais sont capables de nous en écrire et qui, par certaines scènes (l'horrible vieille sorcière s'avançant lentement à genoux vers le héros), évoqueront au cinéphile un Japon certainement hypermoderne mais qui n'a pas oublié les racines dans lesquelles il puise une bonne part de son cinéma d'épouvante - qui est, nul connaisseur ne le niera, tout à fait différent, comme le cinéma coréen d'ailleurs, du genre "à l'américaine." En gros, un jeune homme tombe amoureux d'une servante qu'il voudrait épouser. Un beau jour, celle-ci donne sa démission. Après divers aléas, il retrouve sa trace : elle vit désormais chez une tante, voyante renommée de Tôkyô et personnage franchement détestable, qui a bâti sa renommée sur sa façon d'invoquer un certain dieu dont les arrêts peuvent se révéler aussi positifs que négatifs. Mais pour cela, elle a besoin de quelqu'un qui entre en transe. Il ne lui reste plus que sa jeune nièce qu'elle a si bien menacée des pires représailles que la jeune fille s'est soumise à son sinistre destin. Mais voilà qu'un riche client de la voyante veut désormais prendre la jeune fille comme concubine. La vieille est bien disposée envers ce prétendant : elle peut trouver un autre medium mais les sommes que lui versera le client se sentiront toujours très au chaud dans son escarcelle avide. Evidemment, la situation va se renverser ... Et Akutagawa en profite pour nous rappeler que, comme le disait Shakespeare par la voix de Hamlet, "il y a [...] bien plus de merveilles dans le ciel et sur la terre que ne peuvent rêver toutes nos philosophies." Les descriptions, tant diurnes que nocturnes de l'ancienne Edo, sont en outre saisissantes de beauté ... et de fantastique à l'état pur.

Quant à la dernière nouvelle, "Automne", c'est certainement la plus triste : deux soeurs qui aiment le même homme ; l'aînée se sacrifie (la tradition veut que l'aînée se marie avant la cadette) tandis que la puînée obtient l'homme qu'elle aime. A la fin ...

Ma foi, la fin, je vous la laisse découvrir : elle est d'une mélancolie insigne et raffinée et tout l'art du grand Akutagawa trouve à s'y exprimer avec cette simplicité poétique qui le caractérise.

A lire. C'est sûr. D'ailleurs, tout Akutogawa est à lire. ;o)
Commenter  J’apprécie          50



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}