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Critique de Meps


Je me rends compte au fur et à mesure de mes lectures à quel point le vécu de notre enfance influence nos réactions par rapport à certains évènements. Je suis particulièrement sensible aux grandes catastrophes ou aux moments de l'histoire que j'ai vécu sans doute sans bien les comprendre à l'époque: guerre du Liban, chute du mur de Berlin, guerre du Golfe, guerre du Rwanda... et bien sûr la catastrophe de Tchernobyl. Je les ai toutes abordées par le prisme de la télévision, recevant les informations sans tout comprendre mais choqué par les images, touché par la détresse (ou l'émotion pour la chute du mur) des protagonistes. C'est encore renforcé pour Tchernobyl puisque j'ai même à l'adolescence participé à une pièce qui avait permis de recueillir des fonds pour une association qui permettait aux enfants touchés par la catastrophe de venir faire des soins en France. L'effet miroir et l'impression que cela pourrait nous arriver à tous fonctionnait également à plein.

Je me suis donc lancé dans cette lecture de la supplication en sachant à l'avance que l'émotion allait être au rendez-vous. Et pour le coup, l'auteure ne nous ménage pas, le choc est puissant dès le témoignage qui forme le prologue. le choix de passer par la voix directe des témoins (que l'auteure utilise pour l'ensemble de ses oeuvres) est évidemment très pertinent ici puisqu'on est en prise directe avec l'émotion. Il y a quasi forcément un travail de réécriture des "monologues", ne serait-ce que pour faire disparaitre les questions de l'enquêtrice et fluidifier le tout ; mais on sent toute la sincérité qui se dégage de ces récits, de ces multiples narrateurs d'une réalité horrifiante.


Le choix des différents témoins est également extrêmement bien calibré, et permet de basculer de l'émotion pure en prise directe avec l'évènement et ceux qui l'ont vécu dans leur chair et leur sang à certaines analyses politiques ou philosophiques, notamment par le biais de certains responsables ou spécialistes de l'atome. Ces parties sont le plus souvent terriblement dénonciatrices de ce qui s'est passé, des responsabilités de chacun. le doigt est mis sur les fautes commises par les autorités, mais n'oublie pas les négligences commises par chacun, l'incrédulité devant une menace invisible, impalpable, qui n'incite pas à prendre toutes les précautions nécessaires (pour ceux qui ont été bien informés...). On ne peut pour ces passages que ressentir un parallèle (toutes proportions gardées) avec notre époque actuelle et la crise sanitaire que nous traversons, entre incurie des dirigeants et insouciance coupable de certains citoyens.


L'effet sur le lecteur est particulier puisqu'on est très souvent à la limite de l'écoeurement et en même temps pressés de lire la suite. Ce n'est pourtant pas à notre côté voyeur que l'auteure fait appel puisque pour paraphraser Alexievitch "Un évènement raconté par une seule personne est son destin. Raconté par plusieurs, il devient l'histoire". Une des grandes prouesses du livre est également de parvenir à nous faire rire par plusieurs blagues ou anecdotes qui émaillent les témoignages, même si l'humour de certaines blagues ne peut visiblement être ressenti qu'en ayant vécu le drame (avec le magique "C'est pas drôle ?" de certains interlocuteurs se rendant compte de la subjectivité de l'humour).


On peut également souligner la pertinence des moments où l'interrogé s'adresse à l'enquêtrice pour l'encourager dans son travail de restitution ou pour demander l'anonymat, moments qui impliquent d'autant le lecteur dans la démarche entreprise. On peut pointer l'intérêt du choix des témoignages chorals (ceux des habitants d'un village, des médecins, des enfants) qui forment comme des symphonies dramatiques où on entendrait chaque voix comme un instrument déchirant. Je finirais tout de même par ma seule incompréhension, je ne suis pas parvenu à comprendre exactement les séparations entre les trois parties, les titres très poétiques ne sont pas parvenus à m'éclairer sur la logique qui a prévalu pour organiser le sommaire.


Cela ne reste qu'un détail dans un texte qui m'aura touché au plus profond de ce qui fait notre humanité, parce qu'il vient, comme l'expose si bien un des témoins, toucher des questionnements très enracinés, autour de l'insécurité d'un progrès que l'on croit au premier abord inoffensif. le destin vient régulièrement nous démontrer notre fragilité et l'importance de la solidarité dans les moments où c'est l'humain qui semble attaqué, sans qu'on puisse trouver un seul coupable mais où on se rend compte que nous sommes bien l'espèce qui parvient le plus à se mettre en danger par elle-même.
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