Allô mon petit papi ? C’est encore Youn.
A ton avis, est-ce-que la mort, c’est une fin ?
Je déteste quand les histoires finissent mal comme ça.
Papi, j’ai le moral dans les pantoufles. Il ressemble à un yoyo cassé, il ne monte pas très haut et il redescend trop longtemps.
C’est comme si j’était au bord d’un grand puits au milieu du désert. J’ai l’impression de tomber sans pouvoir m’accrocher à quoi que ce soit et sans que personne puisse venir me sauver.
J’ai le vertige du manque de toi.
Papi, je t’aime tant.
Youn
Ça m’énerve d’être là. Je ne me sens pas petit, j’ai eu huit ans en janvier ! Si on prend le temps de calculer, ça fait 2948 jours d’existence en comptant les années bissextiles. Ce n’est pas rien, quand même ! J’aurais voulu aller aux obsèques, moi aussi. Pour comprendre ce qui arrive quand on est mort. Pour regarder comment c’est. Si c’est vrai qu’il y a un cercueil. Si c’est sûr que Papi est mort. Pour lui dire une sorte d’au revoir. Je voulais tenir la main de mamie parce que ça doit être horrible pour elle de ne plus avoir son mari. Même après toutes ces années passées ensemble, ils s’aimaient encore, ça se sentait, il y avait une lumière d’amoureux dans leurs yeux quand ils se regardaient. Je crois surtout qu’aujourd’hui, je voulais pleurer avec les autres. J’aurais dû le dire à mes parents.
Allô papi ? C’est toujours moi ! Je t’écris encore car tu n’as envoyé aucun signe et je ne sais pas du tout où tu es !! Tu exagères d’être mort sans m’avoir préparé à rien !! Moi, j’étais habituée à toi, ce n’est pas juste ! Tu aurais pu me le dire !
C’est papi qui avait trouvé mon surnom, un dimanche où mes parents se plaignaient de mes dernières bêtises. Il avait froncé ses sourcils broussailleux, croisé les bras sur son énorme torse et poussé un grognement d’ours des cavernes. En prenant un air de moineau effarouché, j’avais rentré la tête dans mes épaules et clignoté des yeux à toute allure – j’en rajoutais un peu parce que je n’avais pas vraiment peur. Alors il s’était mis à rire en m’ébouriffant les cheveux. – T’es un drôle d’oiseau, toi, avait-il dit de sa voix rocailleuse. Notre Youn est un oiseau-clown ! Ça m’était resté, et même à l’école on m’appelait comme ça, Youn, l’oiseau-clown.