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Critique de gerardmuller


Gabriela, girofle et cannelle
Jorge Amado (1912-2001)
Nous sommes en 1925 dans la petite ville de Ilhéus dans l'état de Bahia au Brésil, où la culture du cacao est la ressource principale, assujettie aux aléas de la météorologie que le père Basilio Cerqueira tente de fléchir par ses prières en faveur des fazendeiros, grands propriétaires fonciers appelés aussi « colonels ».
C'est une époque de grande prospérité et le Russe Jacob avec l'aide du garagiste Moarcir et du financier exportateur de cacao Mundinho Falcao, crée alors la première ligne de bus entre Ilhéus et Itabuna distante de 35 kilomètres. Nacib, Syrien d'origine et patron du bar le Vesuvio est abandonné par Filomena sa cuisinière alors qu'il a choisi d'organiser le grand repas d'inauguration de la ligne.
Mundinho Falcao, riche et influent homme d'affaires prend de plus en plus de place dans la vie d'Ilhéus au détriment de l'intendant Ramiro Bastos aux méthodes d'un autre temps. Une petite guerre s'instaure entre Mundinho et Ramiro.
Nacib a bien pensé aux deux soeurs jumelles Dos Reis, grandes et célèbres organisatrices de crèches de Noël baroques mêlant le petit Jésus à Victor Hugo, Lénine et Rudolf Valentino et s'adonnant aussi à la cuisine occasionnellement.
« Quinquina la rondelette et Florzinha la fluette, deux petites vieilles guillerettes, totalisaient cent vingt huit ans d'une virginité solide et indiscutée. »
Mais Nacib renonce à les embaucher en cuisine car les deux soeurs sont trop gourmandes et demandent des appointements déraisonnables. Elles fourniront seulement quelques plats pour dépanner Nacib.
À Ilhéus, parler de la vie d'autrui est l'art suprême, le suprême plaisir, le principal divertissement de la ville. Un art porté à un raffinement incroyable par les vieilles filles, une assemblée de langues vipérines réunie devant l'église à l'heure de la bénédiction. Mais pas seulement : Nacib dans son bar prend aussi une part importante à la collecte et la rediffusion des ragots. Un art non sans danger quand les révolvers sont de sortie.
C'est la révolution dans Ilhéus lorsque débarque le prince Sandra, prestidigitateur à ses heures accompagné d'Anabela sublime danseuse aux sept voiles …qui tombent les uns après les autres ! Anabela vers qui tous les regards concupiscents des hommes du bourg se tournent suscitant inévitablement des jalousies coupables.
Entrent alors en scène deux personnages importants : Gabriela, venue à pieds du nord, de l'aride sertao de la région de Récife, avec un groupe de « retirantes » dont Clemente devenu son compagnon de route et de couche. Et puis Gloria devenue la tentation suprême, car elle se met chaque jour à la fenêtre et présente aux passants comme en offrande, ses seins épanouis, double motif de scandale pour les vieilles filles qui se rendent à l'église, alimentant chaque jour les mêmes conversations à l'heure vespérale de la prière. Et pour Gloria, l'étincelle de désir entrevue dans les yeux des hommes est le seul bien qu'elle reçoive dans sa solitude. Notamment dans les regards du poète professeur Josué.
Coup de théâtre dans Ilhéus : le colonel Jesuino a tué doña Sinhazinha et le dentiste Osmundo Pimentel. À l'heure tranquille de la sieste, il a déchargé son révolver sur son épouse et sur l'amant de celle-ci, suite à une lettre anonyme. C'est ainsi que cela se passe à Ilhéus : l'honneur d'un mari trompé ne peut être lavé que dans le sang. Ce que retiennent les bonnes gens d'Ilhéus et colportent à l'envi, c'est que la doña a été retrouvée nue et seulement vêtue de bas noirs ! C'est l'occasion de ressortir toutes les histoires de mari et de femmes trompés dans la ville d'Ilhéus.
Nacib embauche Gabriela en qualité de cuisinière et ne se lasse pas de lui trouver toutes les qualités, même quand elle sommeille et qu'il la regarde dormir se demandant comment une telle beauté avait pu passer inaperçue sous la poussière des chemins, un corps de femme jeune couleur cannelle, des traits de fillette :
« Un parfum de girofle emplissait la chambre, la chaleur qui montait du corps de Gabriela enveloppait Nacib et lui brûlait la peau, tandis que sur le lit mourait un rayon de lune. »
La fréquentation du Vésuvio ne cesse d'augmenter grâce à Gabriela, pour sa cuisine et aussi son déhanché qui fait se tourner tous les regards masculins quand elle sert au bar. Nacib finit par se demander si certains ne lui feraient pas la cour quand Tonico Bastos le met en garde s'il veut la garder pour lui. Gabriela n'est pas envieuse et respecte Nacib : elle se contente de simples robes et quelques bijoux bon marché qu'il lui offre, avec un bon salaire à la clé. Mais Gabriela a fait perdre à Nacib sa tranquillité, sa joie, son goût de vivre car il a peur de la perdre. Et s'il l'épousait comme le lui suggère son ami Tonico, puisqu'il l'aime d'un amour jaloux et sans bornes. Ensuite il pourrait monter le restaurant dont il rêve dont elle s'occuperait. Et puis le rêve ultime c'est d‘acquérir un jour une plantation de cacao. Mais la belle Gabriela est une jeune femme libre, simple et indépendante.
La suite va conduire d'une part à une guerre entre Mundinho et Bastos, et une incompréhension entre Nacib et Gabriela.
le style de Jorge Amado fait un peu penser à celui de G. G. Marquez, avec les mêmes envolées lyriques baroques et jubilatoires, drôles et pleines d'humour et d'ironie dans un monde sud-américain incomparable aux personnages truculents et hauts en couleurs. Et une foule de petites histoires avec beaucoup de personnages venant se greffer sur l'intrigue principale que l'on perd parfois un peu de vue, avec quelques longueurs dans l'évocation des péripéties politiques qui animent la vie à Ilhéus. Mais qu'importe, la vie est ainsi faite et notre plaisir de lecture renouvelé à chaque nouvelle histoire. Un très beau roman, original et bien traduit du portugais brésilien.
Jorge Amado (1912-2001) est sans conteste le plus grand maître de la littérature brésilienne du XXe siècle.
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