Bien avant que la littérature latino-américaine ne soit à la mode en Europe, le Brésilien
Jorge Amado (1912-2001) dénonçait l'exploitation des ouvriers agricoles de son pays. Il avait 19 ans quand il écrivit
Cacao. Initialement publié en 1933, l'ouvrage court et fort retrace la vie des travailleurs dans une fazenda de la région
cacaoyère au sud de Bahia à travers une fiction chaleureuse qui vous emporte. Peu importe que le roman soit classé comme prolétaire ou non en 1933. En 2023 il est toujours aussi percutant.
Le narrateur Sergipano nous présente dès le premier chapitre, le « Domaine fraternité » et les terribles conditions de vie des ouvriers agricoles sur l'exploitation du Colonel Manuel Misael de Sousa Teles. Ce « roi du
cacao » est surnommé « Mané-la-Peste » par ses ouvriers. Sergipano présente ensuite plusieurs personnages attachants comme Colodino, Antônio Barriguinha et Honório, tous embauchés à la ferme (fazenda). Puis dans le chapitre suivant il retrace son enfance dans l'État de Sergipe (d'où son surnom). Il est le fils d'un propriétaire d'usine de tissus dans la ville de São Cristóvão. A la mort du père, le garçon a travaillé comme ouvrier dans l'entreprise familiale sous les ordres de son oncle, un homme sans scrupules. Encore adolescent, Sergipano part pour Ilhéus, séduit par les belles promesses de prospérité du pays des « fruits dorés ». le récit revient au point de départ. Sergipano, berné, est recruté par le Colonel Misael et « loué » : il est embauché dans des conditions analogues à celles de l'esclavage et vit dans une cabane misérable. Les ouvriers presque tous analphabètes sont contraints d'acheter de la nourriture et d'autres biens de première nécessité dans des magasins de la fazenda. Ces biens sont facturés trop cher pour les ouvriers qui sont donc enchaînés au travail par leurs dettes. Des employés plus costauds que les autres maintiennent l'ordre par une répression extrêmement violente, n'hésitant pas à tuer contre quelques piécettes supplémentaires. C'est normal, cela a toujours été ainsi. Les jours de repos, le protagoniste et ses amis boivent beaucoup, surtout de la cachaça et fréquentent les bordels. Sergipano décrit l'horrible fatalité qui pèse sur les femmes. La routine est interrompue par l'arrivée du colonel Misael et de sa famille pour les festivités traditionnelles de São João. Sergipano est désigné pour être serviteur à la propriété du Colonel. Il y rencontre sa fille Mária, grande lectrice de romans sentimentaux...
Dans l'un des derniers chapitres du roman, intitulé « Correspondance », le personnage-narrateur, appelé Sergipano tout au long du récit, révèle que son véritable nom est
José Cordeiro et qu'il est ouvrier typographe à Rio de Janeiro. Il a eu l'idée d'écrire l'histoire de la plantation après avoir lu des lettres d' ouvriers, de prostituées et des amis qu'il a gardés après son séjour au Domaine.
Le succès populaire de ce livre engagé valut à
Jorge Amado bien des ennuis. En 1937, par décision officielle de son pays, 1700 exemplaires de ses romans, dont
Cacao, sont brûlés en place publique. Aujourd'hui, on l'étudie dans les écoles.