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Critique de Parisianne


Vous connaissez sûrement Paul Andreu, l'architecte de l'aéroport Charles de Gaulle ou de l'Opéra de Pékin pour ne citer que deux de ses plus célèbres réalisations, peut-être connaissez-vous moins l'écrivain, le romancier. C'est ce dernier que nous évoquerons aujourd'hui, à propos de son dernier livre Enfin, paru chez Gallimard en début d'année.

Elle vit seule, souffre d'un mal incurable et voit sa mémoire s'échapper.
Lui vit seul avec ses livres, et ne se voit pas d'avenir.
Ils se croisent dans leur quartier, ne se sont jamais parlés jusqu'au jour où il la trouve bouleversée devant un immeuble devant lequel des ouvriers dressent un échafaudage. Visiblement ébranlée, il l'aide à regagner son domicile.

Quelques semaines plus tard, elle l'aperçoit et l'interpelle pour le remercier. Elle finit par lui avouer qu'avec sa mémoire défaillante elle confie à des façades ses souvenirs.

Suite à ces confidences inattendues, un lien se tisse peu à peu entre les deux personnages,

"(...) avec les mois, chacun avait appris, ou plutôt réappris, à ne plus avoir peur : elle des silences qu'elle redoutait comme l'oubli, comme le vide, synonyme pour elle du néant et de l'effroi de la disparition ; lui de ces périodes de paroles compulsives qui ramenaient au jour ce qu'il aurait souhaité enseveli à jamais."

L'attention portée à l'autre se fait plus grande, leur solitude est progressivement habitée.

"J'avais envie de la revoir, c'était une chose bien nouvelle pour moi et tout à fait imprévisible (...)".

De rencontres au café des Amants, en promenades dans leur quartier, à mi-mots les secrets se disent, et les sentiments naissent. Ils n'ont ni âge ni nom, pas même un prénom, ils sont des étrangers qui s'apprivoisent dans les absences de la mémoire et les silences des non-dits.

"Ni l'un ni l'autre, pendant des semaines, ne cherchèrent à démêler leurs sentiments. Ils se retrouvaient avec bonheur, bavardaient des heures durant, se séparaient en riant, certains de se retrouver le lendemain et de reprendre ensemble ce cycle élémentaire."

L'auteur évoque avec beaucoup de pudeur la naissance des sentiments, ce besoin de proximité des corps dans une forme de tendresse absolue, un amour d'une grande pureté.

"Grâce à lui, elle était heureuse.
Il aurait aimé qu'elle le lui dise. C'était sans doute impossible.
[...]
Grâce à elle, il était heureux. le lui disait-il, lui à qui les mots obéissaient mieux ? Non, il ne savait pas leur donner cette liberté, mais il la regardait avec tendresse et gratitude, et à son tour, il la liait au monde et à lui par des fils colorés. Plus le temps passait, plus le nombre de ces liens augmentait. Ils tissaient maintenant, déjà, un cocon protecteur autour d'eux."
La maladie la ronge, elle souffre énormément, il veille donc sur elle avec délicatesse et discrétion, jusqu'à décider de la conduire pour un dernier voyage en Suisse, au pays de son enfance, en quête d'un lieu qui l'habite, souvenir heureux ou malheureux, impossible de le savoir vraiment. Il souhaite seulement qu'elle soit sereine. Il est non seulement sa mémoire mais aussi sa force pour l'aider à lutter contre les douleurs violentes qui la terrassent de plus en plus souvent.

Et cet amour est total, dans un don de soi absolu évoqué par l'auteur avec une infinie pudeur et une très grande délicatesse. L'absence de réelle description des personnages, l'absence de noms et jusqu'au vouvoiement dont ils ne se départissent jamais font de ce roman une très belle histoire portée par un style d'une grande fluidité rendant les silences palpables sans être pesants et les non-dits limpides, jusqu'à la dernière phrase, au dernier mot "enfin".

Enfin est de ces livres que l'on ferme à regrets, je ne peux que vous inciter à plonger dans l'univers de Paul Andreu. Je garderai pour ma part le souvenir d'un double plaisir, celui des voix de Christiane Cohendy et Dominique Pinon dans leur très belle traversée de ces pages, et celle de ma voix intérieure à ma propre lecture.
Lien : http://parisiannemusarde.ove..
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