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Critique de Antyryia



Limiter Amélie Antoine à la rédaction d'un unique roman serait une grave erreur. Mais à l'instar de plusieurs de ses lecteurs, je trouve que Raisons obscures est probablement son livre le plus abouti. C'est celui que j'ai le plus prêté ou offert autour de moi, et tous les retours que j'ai pu avoir ont été presque unanimement enthousiastes. Je ne vais pas en refaire l'entière chronique ici mais j'en retiendrai toute ma vie le concentré d'émotions et la construction d'une grande intelligence.
Si vous êtes passés à côté et que vous ne voulez rien connaître de plus sur son intrigue, alors précipitez-vous chez votre marchand de journaux. le numéro 1 est disponible en poche chez Pocket pour 8,60 € seulement !
Si vous n'avez aucune intention de le lire, réfléchissez encore un peu quand même, avant qu'il ne soit trop tard.
Si vous avez déjà eu la chance d'en tourner les pages ou du moins que vous en connaissez déjà le thème, rendez-vous au second paragraphe.

Raisons obscures fait aussi partie de ces rares livres qui ont amélioré des vies, et qui en ont même sauvées. Et ça n'est pas juste une façon de parler.
Avec le titre de l'album de Louis Chedid de 1985, Anne, ma soeur Anne, Ne vois-tu rien venir ? vient compléter les célèbres paroles de Charles Perrault dans Barbe bleue. Il est encore temps de se rendre compte et d'agir en conséquence, mais la situation prête au pessimisme. Qu'il s'agisse d'empêcher un féminicide, de prévenir des dangers de la montée de l'extrême droite ou, comme ici, de prévenir les témoins directs ou indirects du harcèlement scolaire.

Raisons obscures était d'abord axé sur le quotidien des parents d'Orlane et Sarah, la proie et celle qui s'en amuse, trop absorbés par leur propres soucis pour se rendre compte de ce qui se passait juste sous leur nez, incapables de voir que les arbres devant eux cachaient une forêt.
Une première partie qui était parfois jugée plus faible ou moins intéressante pour un lectorat plus adolescent.
Ce qui ne m'avait pas empêché de le prêter à ma nièce après qu'elle se soit confiée à moi sur son isolement à l'école, pour qu'elle se rende compte que ce qu'elle endurait n'avait rien d'anodin, rien de justifiable, et qu'elle ne devait pas laisser empirer la situation sans se confier.
Elle a adoré, que ce soit le point de vue des parents ou celui des deux collégiennes.
Et elle a rapidement retrouvé sa place auprès de ses copines, quittant la statistique de dix pour cent d'élèves victimes de harcèlement scolaire en France.

J'avoue que j'appréhendais la lecture de ce roman qui, s'il a été énormément retravaillé, repensé et réactualisé, respecte totalement la trame originale. N'aurais-je pas du garder le souvenir de ma première lecture, si marquante ? Ne risquais-je pas d'avoir simplement droit à une version édulcorée par rapport à la violence et à la noirceur de l'original ?
Absolument pas.
C'est à peine à vrai dire si j'ai remarqué que Ne vois-tu rien venir ? était adressé à des lecteurs plus jeunes. J'ai juste trouvé dommage dans cette version que rien de précis ne nous soit révélé sur la crise de couple des parents d'Orlane, devenue certes très secondaire. Les émotions avaient toujours autant d'impact, en particulier la colère et l'angoisse. Je me rappelais très bien du dénouement de Raisons obscures. Très vite différents témoignages viennent s'intercaler au fur et à mesure que les mois de l'année scolaire s'écoulent et laissent s'exprimer tous ceux qui n'ont rien vu venir. Les parents bien sûr, mais aussi le corps enseignant ou les différents élèves du collège des Horizons. Autant de témoins ou parfois d'acteurs d'une inexorable tragédie.
Peut-être la même.
Ou pas.
Et même si le roman a pour héroïnes deux filles de troisième et qu'il se déroule essentiellement au collège, je dirais qu'il s'adresse cette fois autant aux adolescents - harcelés ou non - qu'aux parents ou à un corps enseignant pas toujours préparé mais souvent aux premières loges. Et j'ai envie de généraliser parce qu'après tout, la mécanique du harcèlement est souvent la même. Qu'il soit moral, sexuel, conjugal, professionnel ou scolaire, c'est l'art épouvantable de dévaloriser, de pousser quelqu'un à se sentir inutile, au mieux un objet d'amusement.

Il n'y a aucune raison cohérente pour qu'Orlane devienne la cible de Sarah. La façon dont elle porte son sac le jour de la rentrée, comme l'illustre joliment la couverture. Un nez légèrement busqué. Son statut de nouvelle élève. En tout cas pas sa faiblesse : Orlane est joyeuse, optimiste, courageuse et s'intègre normalement facilement. Rien ne la prédestinait à devenir le point de mire de la peste de service.
Sarah est quant à elle atteinte de diabète, ce qui doit rester un secret et ce qui est en gros la seule parcelle d'humanité de cette jeune femme populaire, arriviste, égoïste, superficielle qui choisira la petite nouvelle comme exutoire à sa maladie.
Je précise au cas où je n'aurais pas été clair qu'elle m'est sortie par les trous de nez.
L'affrontement aurait été plus équilibré si toutes les amies de Sarah n'avaient pas également participé aux humiliations d'Orlane, devenue insecte englué dans leur toile d'araignées. Isolée dans la souffrance et les idées noires.
Les enfants peuvent rivaliser d'imagination quand il s'agit d'être cruels entre eux.

Au-delà d'une descente aux enfers comme tant d'adolescents peuvent en vivre, Ne vois-tu rien venir ? est surtout un message d'alerte. le drame annoncé aurait pu être évité et Amélie Antoine donne même quelques armes aux enfants harcelés murés dans le silence pour qu'ils puissent envisager de s'en sortir seuls.

Et puis la romancière insiste grandement sur la part de responsabilité de chacun.
Il y a toute proportion gardée celle des parents, qui doivent assez culpabiliser et se refaire le film dans leur tête, qui regrettent de ne pas avoir su communiquer avec leur enfant en le voyant plus renfermé, avec des notes en chute libre.
Il y a tous ces adultes qui ont bien vu que quelque chose n'allait pas et ont essayé de tendre la main à Orlane, à l'instar de son professeur d'anglais ou de sa bienveillante conseillère principale d'éducation. On peut leur reprocher de ne pas avoir assez insisté mais au moins ont-ils essayé.
Et puis il y a ceux qui ont participé ou, dans une moindre mesure, ceux qui savaient mais qui n'ont rien dit.
Incapables d'imaginer que de simples moqueries puissent avoir ce genre de répercussions.
"Enfin bref, je n'ai rien à voir avec toute cette histoire, moi."
"Pourquoi ça aurait été à moi de m'en mêler, au juste ?"
Parce que souvent, tous se feront exactement la même réflexion et qu'il serait dérisoire d'attendre que quelqu'un d'autre témoigne.
Parce que l'adolescence n'est pas un facteur dédouanant les individus de toute responsabilité.
Chaque témoin doit se considérer comme acteur du drame qui se joue potentiellement sous ses yeux.
Les futurs lecteurs de Ne vois-tu rien venir ? en prendront d'autant plus conscience.


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