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Critique de Kirzy


Kirzy
16 septembre 2021
Rentrée littéraire 2021 #23

A chaque fois que je lis un roman de Natacha Appanah, je suis éblouie par sa capacité à dire tant en si peu de pages. Elle a un sens de l'épure absolument remarquable, immergeant totalement le lecteur dans l'intimité de ses personnages juste par la magie des mots. Car la plume ciselée de Natacha Appanah a bien quelque chose de magique, tellement sensorielle et musicale qu'on se retrouve entrainé à l'unisson d'une vie, avec ses ténèbres et sa douceur, ses respirations lentes et ses accélérations dangereuses. Tour est sensation, de la plus physique à la plus éthérée.

« Je me souviens de tout, ça vient comme une envie de vomir, ça me prend aux tripes et ça va rejaillir ici, en grumeaux noirs et gluants, dans cet endroit où j'ai connu la paix. Je me souviens que le prénom que mon père m'avait donné voulait dire «  victoire ». Vijaya. Je me redresse, je regarde le treillis métallique serré et je sais que je n'aurai ni le temps ni la force d'y grimper. Les chiens sont là, la jeune fille hurle, Arrête ! J'ai cette pensée étrange et douce qu'elle me tutoie comme si elle me connaissait mais à quoi bon, je veux que tout meure avec moi, le garçon, Tara et Vijaya. Je me traîne jusqu'à la berge qui n'existe plus tant l'eau est haute, tant le courant a mangé la terre, aplati les herbes. J'essaie de me mettre debout mais il n'y a rien sous mes pieds. Mon corps cède. Je m'étonne de crier comme si c'était une surprise, comme s'il restait encore une infime partie de moi qui refusait ce geste et j'aimerais arracher cette partie, la poser dans ma main, la regarder en face, l'écouter raconter son histoire mais alors l'eau, toute cette eau ... »

Toute la première partie est troublante et insaisissable. Tara vient de perdre son mari. Elle est flou, semble avoir perdu la tête, perturbée par l'apparition spectrale d'un garçon. En fait le choc du deuil agit comme un catalyseur de souvenirs et ce garçon n'est qu'une réminiscence du passé, une vapeur de son enfance déchirée. Tara est comme engloutit par ce passé traumatique dont elle était parvenue à s'extraire. L'infusion est lente pour mener à la deuxième partie dans un pays, jamais nommé tant il pourrait être pluriel ( même s'il ressemble fort au Sri Lanka ) lorsque Tara était une autre et qu'elle a vécu l'enfer. Elle qui a été élevée dans la conscience que tout était possible, et qui va réaliser que ce n'était pas le cas lorsqu'on nait fille, qu'on vous dit que vous êtes une «  fille gâchée » juste par la liberté prise et la sensualité que vous avez à fleur de peau. Que nous reste-t-il lorsque le corps ne nous appartient plus ?

Natacha Appanah s'empare une nouvelle fois des thématiques fortes qui courent dans tous ses romans : l'enfermement, la mémoire, la résistance. Son phrasé est doux, poétique, tout en suggestion, même ou plutôt surtout lorsque la violence surgit. Elle tisse les silences, faisant confiance au lecteur pour les comprendre. Jusqu'aux trois dernières pages qui compose l'épilogue, absolument bouleversantes pour dire, à travers ce superbe portrait de femme, l'éphémère d'une vie traversée de drames et de lumière, et la fragilité de l'identité malgré une résilience qui semblait acquise.


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