AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Fandol


Rien ne t'appartient est un roman assez court, d'une force incroyable.
Nathacha Appanah qui m'avait estomaqué avec Tropique de la violence, confirmant, à un degré moindre avec le ciel par-dessus le toit, m'a ramené en Asie, dans un pays bouleversé par la guerre et les luttes fratricides dont les femmes sont les premières victimes.
Tara s'exprime dans une première partie très énigmatique qui ne m'emballe pas. Emmanuel, son mari qui avait quinze ans de plus qu'elle, est mort. Il a un fils, Eli, d'un premier mariage. Prof de maths dans un collège, il tente d'aider Tara victime d'hallucinations et très perturbée. Il a beau lui poser des questions, voulant savoir qui est cette Vijaya, prénom qu'il a vu écrit sur des feuilles trainant dans la chambre de Tara mais celle-ci ne répond pas.
Où sommes-nous ? Dans quel pays nous trouvons-nous ? Nathacha Appanah ne le dit pas, s'attachant exclusivement au côté psychologique de sa narratrice mais, lors des Correspondances de Manosque 2021, elle nous avait confié que cela se passe au Sri Lanka. Tara est au plus mal, veut en finir et refuse de raconter ce qu'elle a vécu à Eli qui voudrait tant l'aider. Pourquoi ? Je n'ai pas d'explication sauf cette seconde partie à la fois terrible et passionnante, intitulée Vijaya.
Tout commence par une vie idyllique pour cette fillette vivant dans un décor paradisiaque. Son père est opposant politique, parle à la radio, à la télévision et sa mère a des pouvoirs magiques. Ils sont riches assurément. Ce père souriant devient un tuteur sévère lorsqu'il enseigne à sa fille, Vijaya. Depuis la capitale, vient Rada, professeure de danse qui lui enseigne la bharatanatyam, danse traditionnelle de l'Inde du sud, deux jours par semaine. D'ailleurs, Vijaya danse à ravir lorsqu'une fête lui en donne l'occasion.
Hélas, sa vie va basculer dans l'horreur avec ce qui fait penser à un coup d'État militaire, l'installation d'une dictature qui élimine sans pitié les opposants.
Si Vijaya échappe à la mort, son calvaire est égayé par un garçon qui vient la voir régulièrement et qui partage l'amour avec elle. Cela explique peut-être ce garçon qu'elle voit chez elle dans la première partie puis qui disparaît subitement sans qu'on en sache davantage à son sujet.
La conséquence de ces relations sexuelles si belles transforme Vijaya en « fille gâchée ». C'est là qu'elle se retrouve dans une sorte de pensionnat, de maison de correction pour « filles gâchées » où la tenancière lui assène sans arrêt : Rien ne t'appartient ici.
La vie de Vijaya est celle que d'autres jeunes filles comme elles ont dû subir : privations, punitions, travail très dur, jusqu'au jour où ce tsunami dont nous nous souvenons tous, remet tout en question, juste après Noël, le 26 décembre 2004. Il dévasta une bonne partie des côtes de l'Océan Indien causant énormément de victimes.
Les quelques pages faisant vivre, survivre Vijaya dans ces vagues qui emportent tout, sont terribles. C'est dense, prenant, rythmé, d'un réalisme d'autant plus choquant que l'autrice n'exagère pas.
Rien ne t'appartient me semble un formidable témoignage sur les dégâts psychologiques causés, pendant des siècles d'exploitation et d'oppression de beaucoup de femmes. C'est écrit délicatement, avec un minimum de précisions géographiques et aucune date. Tout est dans les mots, les phrases mettant en place une vie sacrifiée où tant de malheurs, tant de souffrances accumulées sont impossibles à évacuer. Tara et Vijaya, ces deux jeunes femmes cohabitent dans la même personne qui, privée du seul homme venu à son secours, se trouve dans l'impossibilité de communiquer pour se relever et continuer à vivre.

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
Commenter  J’apprécie          1399



Ont apprécié cette critique (124)voir plus




{* *}